Laponie suédoise 2014

Retour sur la Kungsleden

Le projet

La Kungslenden a été une magnifique aventure il y a deux ans, en mars 2012, lorsque j’ai parcouru 130 km en raquettes et pulka dans ce paysage de neige et de glace, silencieux et majestueux. 

Cet été, je profite d’une pause professionnelle pour refaire ce trek. La neige a bien sûr fondu. Les lacs et les rivières sont libres de glace. L’eau ruisselle abondemment. J’ai peu de temps pour préparer ce trek. Cela dit, je suis déjà équipé et je connais le secteur. Il y a des refuges tous les 12-15 km, dont certains ont des petites boutiques pour s’approvisionner en vivre. Quant aux températures, c’est l’été. Un été polaire, mais un été quand même. Je risque surtout d’avoir de la pluie. 

Quelques mots sur la Kungsleden

En suédois, puisque c’est en Suède que nous nous situons, cela signifie « voie royale ». La Kungsleden est à la Suède ce que le GR20 est à la Corse. Il s’agit d’un circuit de randonnée long de 440 km au nord du cercle polaire arctique. Sa création remonte à la fin du XIXème siècle par la STF (association suédoise de tourisme), qui avait pour objectif de rendre accessible la Laponie et ses paysages magnifiques. Le point de départ de la Kungsleden se situe à Abisko. Le circuit est parfaitement balisé, j’ai pu le constater l’hiver dernier en parcourant quelques kilomètres autour de l’auberge de jeunesse.Traversant une immense zone sauvage, le sentier est bien équipé. Des refuges ont été construits tous les 15-20 km, et sont exploités par la STF.

La Kungsleden est divisée en 4 parties. Celle située plus au nord, entre Abisko et Nikkaluokta, est la plus fréquentée. Elle passe notamment au pied du Kebnekaise, le toit de la Suède (2111m). Ce sommet tient son nom du Same (langue Lapone) qui signifie « rebord du chaudron ».

La plupart des randonneurs parcourent cette voie en été. D’autres, comme moi il y a deux ans, le font en hiver. La Laponie offre des paysages totalement différents. D’un blanc immaculé l’hiver à des couleurs très variées l’été et à l’automne. Les deux saisons sont à voir. Alors après l’hiver, en piste pour une nouvelle découverte.

Le parcours

Cette fois-ci, je partirai de Nikkaluokta pour remonter en direction d’Abisko. Cela m’offrira 3 options possibles en cours de route. Je verrai sur place en fonction de la météo, du physique et du moral.

  • Option 1 : je coupe court en allant directement à Abisko,
  • Option 2 : je reviens vers Nikkaluokta par une autre piste,
  • Option 3 : plus ambitieuse, je file sur Narvik.

La balade s’éteindra sur une distance de 100 à 150 km en fonction des options.

Les dates

Tout est réservé. Vols et chambres à Stockholm lors des transits à l’aller et au retour. Départ de Marseille le 11 août pour un retour le 24. Entrée en piste prévue le 13 août après-midi pour 9 jours de marche.

Les préparatifs

Ce voyage s’est décidé récemment. Partir dans le Grand Nord, dans une zone où il y a (presque) personne et aucun moyen de communication ne s’improvise pas. Je connais un peu le secteur de la Kungsleden. J’y suis allé à deux reprises. Par ailleurs, je suis aidé et conseillé par « Terre des Sames » , agence de tourisme francophone installée à Kiruna.

Pour tous ceux qui voudraient se rendre dans cette région qui est aussi belle qu’imprévisible, je tiens à préciser qu’il ne faut pas laisser de place au hasard. Compter sur la chance c’est courir un grand risque ! Appuyez-vous sur des gens compétents qui connaissent le terrain. Gare aux blogueurs qui disent que tout est facile. Visitez la Laponie en toute sécurité et profitez de votre séjour. 

Question matériel, bien que l’été soit une saison qui demande bien moins de matériel technique que l’hiver, il faut quand même se préparer à des températures changeantes et à beaucoup d’humidité. Ces dernières années, c’est « Aventure Nordique » qui m’a vendu mon matériel. 

Laissez la médiocrité aux autres. Visez la qualité.

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Récit de l’aventure

Errances en Laponie suédoise. Voilà comment peut se décrire une balade autour de la Kungsleden. Cette célèbre voie royale très fréquentée l’été, traverse de magnifiques vallées sauvages. La Laponie est faite de nombreuses vallées qui sont souvent accessibles par des sentiers moins fréquentés. Tout autant de possibilités pour découvrir la nature et s’émerveiller. Un terrain de jeu idéal pour qui n’a pas peur de la solitude.

Dans cette région où la vraie loi est celle de la nature, où l’électricité n’existe pas, où l’eau vient directement des glaciers, où le temps ne compte plus, où… où rien ne ressemble à nos vies bien ordonnées.

Je me suis accordé la plus grande des libertés : celle de faire ce que je voulais, au rythme que je voulais. Carpe Diem pourrait-on dire. Cela aurait aussi pu être un titre pour cette aventure. Profiter de l’instant présent. Prendre le temps. Observer. Admirer. Errer.

Août 2014, je suis de retour en Laponie. Voici le récit de cette aventure, tel que je l’ai vécue.

Mon premier campement est dressé. Annette et Pascal viennent de me dire au revoir. Pour rentrer à Kiruna, ils doivent maintenant refaire les 10 kilomètres que nous venons de parcourir cet après-midi. Me voilà seul dans ma tente à l’abri des moustiques, devant un paysage fantastique. L’aventure est lancée.

 

Lundi 11 août. Marseille – Stockholm

Un long voyage m’attend. Un bus de Salon à l’aéroport de Marseille, puis un premier vol pour Paris-Orly. Un autre bus pour changer d’aéroport, et un second avion de Roissy vers Stockholm où j’atterris pour la cinquième fois à 22 heures. Pile à l’heure. Comme d’habitude, je passe la nuit dans le Jumbo Stay, ce Boeing 747 réaménagé en auberge de jeunesse. Le concept est génial. Economique et proche de l’aéroport. Idéal lorsque qu’on a que quelques heures à dormir lors d’un transit.

 

Mardi 12 août. Stockholm – Kiruna

Mais qu’est-ce que j’ai mal dormi. Trop chaud dans cette chambre. Puis je pensais à mon voyage qui continue dans quelques heures. Je décolle à 8h30. Direction Kiruna. Et à 10h, je pose le pied pour la 4ème fois en Laponie, la 3ème du côté de la Suède. Mais c’est la première fois que je survole ce paysage dégagé de neige. J’entendais Nicolas Vanier à la radio l’autre jour, qui plaisantait en demandant « lorsque que la neige fond, où va le blanc ? ». Le paysage est vert. Pascal et Annette m’attendent à l’aéroport. Avec l’immense bonheur de les retrouver, nous avons passé le reste de la journée à discuter de tout et de rien, mais surtout de la Laponie. Dans l’après-midi, j’ai complété mon équipement d’une bouteille de gaz pour le réchaud, et de deux beaux morceaux de viande de renne séchée. Une viande excellente et nourrissante. Parfaite pour le trek.

 

Mercredi 13 août. 1er jour de marche. 10 km.

Alors que la journée d’hier n’a pas laissé la moindre chance de voir un rayon de soleil, ce matin le ciel est sans nuage. La matinée est consacrée au chargement de mon sac. Accompagné de mes amis, nous prenons la route de Nikkaluokta qui est le point de départ de mon trek cette année. Progressivement, nous quittons Kiruna et le paysage de désolation que laissent les mines de fer autour de cette ville. Nous filons vers une nature, pour l’instant, encore préservée. Pascal me fait toutefois remarquer les forages qui sont faits sur le bord de la route, dans le but d’y faire de nouvelles mines tôt ou tard.

Nikkaluokta. De beaux souvenirs me reviennent en tête dès notre arrivée. Deux ans et demi en arrière, en mars 2012 je terminais ma première Kungsleden ici. Un grand moment.

Après un repas à base de viande d’élan (délicieux), nous nous lançons dans l’aventure. Pascal et Annette m’accompagnent sur la première étape. Je rêvais de faire une randonnée avec eux. Une grande joie de pouvoir partager ce début d’aventure.

Cette première étape n’est pas la plus belle pour le paysage. La piste traverse une forêt de bouleaux. La taïga. Nous faisons une pause au bord du lac Láddjujávri, le temps de se dégourdir les jambes et les épaules. J’embarque 6 jours de nourriture et des vêtements chauds. Le sac est assez lourd. La météo est excellente. Short et T-shirt pour cette étape.

En chemin, Pascal et Annette ont des vues sur les innombrables cèpes alors que j’observe tout ce qui m’entoure. La piste est très confortable. Un chemin de terre et quelques passages pierreux. De nombreux secteurs aménagés de planches permettent de passer les marécages. En route, j’aperçois deux jeunes lagopèdes sur le chemin. Trop jeunes pour pouvoir s’envoler, ils galopent pour se mettre à l’abri. Nous les suivons et les photographions sous tous les angles. Mes premiers animaux de cette aventure.

Plus tard, après 10 kilomètres, je décide de stopper l’étape avant d’arriver dans une zone marécageuse où il sera impossible de planter la tente. Nous cherchons un endroit plat et non souillé par les autres randonneurs. Le comportement de certains est honteux. Comment peut-on laisser trainer ses déchets dans la nature ? Il y a beaucoup de monde sur la piste. Nous avons croisé beaucoup de randonneurs.

Après que Pascal et Annette m’ont souhaité bonne chance pour les jours à venir, me voilà donc totalement lancé. Je ne les remercierai jamais assez pour cette belle journée. Cette première étape. C’était très chouette.

Ma tente est montée. Mon camp est opérationnel. Au menu ce soir, pâtes et viande de renne, compote. Au moment d’aller faire ma vaisselle au ruisseau (sans produit vaisselle, pour ne pas polluer les cours d’eau), je croise un renard roux, pas farouche, un mulot dans la gueule. Nous nous observons un moment (je regrette de ne pas avoir mon appareil photo sur moi), puis il part tranquillement. Bon appétit l’ami !

 

Jeudi 14 août. 2ème jour. 17 km.

La nuit a été un peu dure. Difficile de trouver le sommeil. J’ai ouvert l’œil à 3h30. Il faisait déjà jour. Dehors, le ciel était bleu, sans nuage. Malheureusement, à 7h, lorsque je me lève, le temps a bien changé. De gros nuages menaçants sont au-dessus de moi et surtout dans la direction du Kebnekaise, ma destination du jour. Je me dépêche à prendre mon petit déjeuner pour pouvoir plier la tente et charger le sac avant la pluie. Départ pour la seconde journée de marche. Quelques gouttes commencent à tomber. Il est 9h. Une première moitié de parcours pas très agréable. A travers la forêt, sans paysage. Un passage près d’une falaise noire, et un chemin pierreux. Cependant la météo arrive à tenir sans pluie. Je dois m’arrêter pour retirer ma veste. J’ai trop chaud. Comme hier, c’est short et T-shirt. Mais à mesure que j’avance vers Kebnekaise Fjällstation et que je prends un peu d’altitude, je sens la température baisser. Je remets mon pantalon et échange mon t-shirt contre un maillot à manches longues.

Kebnekaise Fjällstation. Ce complexe hôtelier qui accueille beaucoup de montagnards, randonneurs et pêcheurs, grouille de monde. Toute la matinée, j’ai vu des allers et venues d’hélicoptères. Les gens se font héliporter jusqu’ici pour se faire l’ascension du Kebnekaise, le massif le plus haut de Suède (2111m), ou pour passer quelques jours à pêcher en famille. L’ambiance est bien différente de celle que j’ai connue il y a deux ans. Cette station accueillait des dizaines de militaires qui avaient établit leur camp de base ici, suite au crash d’un de leurs avions dans les massifs. J’arrive ici après trois heures de marche. Je suis cuit. Je n’arrive plus à avancer. J’ai mal partout et j’ai faim. Je n’ai même pas fait la moitié de mon étape. Ah, ces premières journées de trek ! Elles sont toujours terribles. Je sais que d’ici un jour ou deux, ça ira beaucoup mieux. En attendant, je sens que l’après-midi va être horrible. Je m’arrête là une heure. Le temps de souffler, de manger et reprendre des forces. J’en profite même pour faire une petite sieste dans les fauteuils du grand salon de l’hôtel. Qui peut faire la différence entre un client et un mec de passage comme moi ? Tout le monde est habillé pareil. Vêtements de marche, sac à dos…

A 13h, je reprends la marche. Direction Singi. Je sais déjà que je n’atteindrai pas le refuge ce soir. Trop loin pour moi aujourd’hui. Mais il faut que j’avance un maximum. Ce matin, j’ai croisé beaucoup de monde sur la piste. C’est plus calme cet après-midi. Les gens s’arrêtent à la fjällstation. Les gens que je croise maintenant viennent de la Kungsleden.

Le paysage change totalement. Les massifs sont très beaux. L’eau ruisselle partout. En contrebas du chemin, la rivière coule bruyamment, agitée par des rapides. Sur le flan des massifs, des chutes d’eau un peu partout. A cette saison, la nature est vivante. En hiver, elle est figée par la glace et la neige. La météo change à son tour. Il me faut enfiler tout l’équipement « pluie » en urgence. C’est un mur d’eau qui arrive devant moi. Veste et pantalon imperméable, protection du sac à dos, capuche. Tout y est ! Il tombe maintenant des cordes. Je marche face au vent, en regardant mes pieds pour éviter de me prendre l’eau sur le visage. Heureusement, ça ne dure pas très longtemps. 

Alors que la pluie a cessé et que j’ai pu me découvrir un peu, j’aperçois un renne isolé. Un beau male avec des bois comme je n’en avais encore pas vu. Il est superbe, en train de brouter. J’ai réussi à faire des photos. Cette petite pause photo m’aura permis de poser mon sac et me détendre les épaules. Le point d’arrivée que je me suis désormais fixé ne doit pas être loin. Il est 16h. Je veux m’arrêter pour aujourd’hui. Je marche encore quelques minutes pour trouver un endroit où planter la tente. Il y a du vent. A la Fjällstation, j’ai vu le bulletin météo qui était affiché : vent pour la soirée, très nuageux demain avec quelques gouttes de pluie. Ensuite, trois jours de beau temps sont annoncés. En attendant, bien m’en a pris de m’arrêter sur ce petit coin de lichen, car à peine mon campement est dressé qu’il se met à pleuvoir. Et ça ne s’arrête pas ! Si la journée de demain commence comme ça, je ferais une petite étape. A partir de demain, j’entre dans une vallée qui m’avait émerveillé en 2012. Je préfère perdre une journée en m’arrêtant au refuge de Singi, et traverser cette vallée par beau temps.

 

Vendredi 15 août. 3ème jour. 6 km.

Ce matin, la météo est conforme aux prévisions. Le ciel est bas. Noir. Et il « mouillasse » par moment. Je reste couché. Mais à 7h30, je me résigne à prendre mon petit déjeuner et faire un brin de toilette. Pas pressé de prendre la route, je reste à l’intérieur de la tente un moment pour lire. Le vent souffle fort. Il fait froid et ce crachin ne s’arrête pas. 10h30. Je me mets en route. Direction Singi. A cet instant-là, je ne sais toujours pas si je m’arrête à Singi ou si je continue vers Sälka. La vallée que je quitte peu à peu est vraiment belle. Au loin, j’aperçois quelques tentes. D’autres sont encore moins matinaux que moi. Je ne vois pas âme qui vive aux alentours. Je croise quelques randonneurs. C’est d’ailleurs plutôt amusant, parce que le seul et unique mot que nous échangeons est « hej » qui veut dire bonjour en suédois. Parfois on peut doubler le mot « hej hej ». S’il faut, je croise peut-être même des français sans le savoir. Tout le monde si dit hej. En hiver, comme il y a beaucoup moins de monde, on s’arrête toujours pour échanger quelques mots lorsqu’on se croise. « Tu viens d’où ? Tu vas où ? Tout va bien ? ». En été, chacun trace sa route. Certains semblent d’ailleurs pressés.

Je suis parti depuis une demi-heure à peine et mon sac me fait déjà mal. Je préfère tirer une pulka plutôt que porter un sac. Mais sans neige… Je porte ce sac un peu comme un fardeau. Chaque pause me fait du bien. Le terrain est caillouteux et accidenté. Je croise un petit troupeau de rennes qui s’enfuient en me voyant.

J’arrive au croisement des deux vallées : celle que je quitte, étroite et qui traverse des massifs assez hauts, et celle que j’attends avec impatience tellement elle m’avait plu en 2012. Le vent se renforce peu à peu, et le ciel, bien que plus dégagé que ce matin, reste très menaçant. Le refuge de Singi se dévoile au loin. Tout près, se trouve un village Sáme qui semble déjà désert. Les Sámes ont commencé à rejoindre les camps d’hiver. Je ne reconnais rien de ce que j’ai sous les yeux, hormis les bâtiments du refuge. Je découvre des cours d’eau insoupçonnés en hiver. L’un d’eux traverse le refuge et passent entre les bâtiments. Il suffit de faire quelques mètres pour remplir les sceaux, alors qu’en hiver il faut aller au lac, puiser l’eau dans un trou fait dans la glace. Ce lac est à 700m du refuge ! Je me souviens que c’était le gardien qui se chargeait de cette corvée avec l’aide de son gros chien.

J’arrive au refuge à 12h30. Je n’ai marché que deux heures. Le ciel est acceptable. Je suis partagé entre continuer et m’arrêter ici pour l’après-midi et la nuit. Cet endroit est tellemen beau. Je me dis que c’est un excellent prétexte pour me reposer un peu. Après tout, mon seul objectif est de profiter de ce paysage de Laponie, reculé du monde moderne, et prendre mon avion samedi prochain. Rien ne m’oblige à faire des kilomètres et me casser les épaules et les jambes. L’idée de rejoindre Abisko en faisant des détours me vient en tête. Alors que je suis assis au soleil à l’abri du vent, en train de manger mes gâteaux, je me décide à rester ici.

Je profite du refuge et de mon arrivée de bonne heure pour faire un brin de toilette. Grand luxe : je fais chauffer de l’eau à l’aide du réchaud à gaz du refuge. J’économise le mien.

Les randonneurs arrivent petit à petit. Quinze personnes dormaient ici, dans ce bâtiment, hier.

19h. Le refuge est presque complet. A l’extérieur, des tentes colorent la toundra de rouge, d’orange, ou encore de bleu ou de vert vif. A l’intérieur, certains ont pris l’initiative d’allumer le poêle à bois. Bonne idée. La température commençait à baisser. A 12h30, le thermomètre accroché dehors indiquait 10°C. Le vent souffle toujours très fort et les nuages défilent. Chacun se prépare à manger. De la place où je me suis installé pour lire et écrire, je vois la vallée qui mène à Kaïtum. Ce paysage m’enivre. J’ai aperçu quelques rennes venir brouter tout près des bâtiments tout à l’heure.

Cette fois-ci le refuge est complet. Les derniers randonneurs sont arrivés. Et une chose incroyable vient de se produire.

Il y a deux ans et demi, alors que je me suis retrouvé bloqué dans le refuge d’Alesjaure à cause du blizzard, j’ai fait la connaissance de trois allemands. Nous nous sommes suivis sur tout un bout de chemin durant les jours suivants. A Sälka, puis à Singi et enfin à Kaïtum. J’avais sympathisé avec Ingo, avec qui je partageais quelques tâches quotidiennes. Couper du bois. Aller chercher de l’eau. Tout à l’heure, deux randonneurs sont arrivés. Je suis littéralement resté figé lorsque devant moi, retirant son bonnet, j’ai reconnu Ingo. Lorsque je l’ai interpelé, il s’est écrié « Dominique, from France ! » Nous sommes restés tous deux stupéfaits de cet invraisemblable fait du hasard. Autour de nous, les autres personnes du refuge nous regardent, incrédules. Ingo raconte ce qui se passe à la gardienne du refuge qui attendait patiemment de lui montrer son couchage. Comme moi, sa compagne et lui sont partis de Nikkaluokta. Mais alors que demain, je fais route vers le nord, eux descendent vers le sud. Se retrouver deux ans et demi plus tard, dans le même refuge, c’est incroyable. Nous passerons la soirée à nous refaire notre Kungsleden 2012. Que c’est chouette !

 

Samedi 16 août. 4ème jour. 16 km.

Réveillé de bonne heure par les ronflements de mon compagnon de chambrée qui avait son lit superposé au mien. Je regarde l’heure : 6h30. Je me lève. Quelqu’un me demande l’heure lorsque je passe devant son lit. Cinq minutes plus tard, ce dernier me rejoint dans la pièce à vivre. Alors que nous étions en train de déjeuner, il me redemande l’heure tout en me mettant sa montre sous les yeux. La mienne indique maintenant 7h03. La sienne 6h03. Il semble sûr de lui. Et vu le peu d’agitation qu’il y a dans le refuge – nous sommes les seuls à être levés – je pense que c’est lui qui a raison. Nous sommes donc très matinaux. Nous rions de la situation. Mais depuis quand ma montre a-t-elle une heure d’avance ?

Dehors, le ciel est couvert. Gros nuages. Il va pleuvoir, c’est sûr. A l’avenir, je m’abstiendrai de consulter les prévisions météo. C’est n’importe quoi. Et puis, comme me l’expliquait le gardien du refuge, il peut faire beau ici et pleuvoir dans la vallée voisine, et même neiger sur les hauteurs. Dès la mi-août, l’été touche à sa fin et l’automne fait son entrée.

7h. En route ! Il n’y a pas âme qui vive à l’extérieur. Restez couchés, j’ai la vallée à moi tout seul ! Cette vallée justement. Quelle vallée. Quelle beauté. Malgré les nuages, je ne cesse de l’observer, de l’admirer. Pas une voiture, pas un train, pas un bruit hormis celui de l’eau qui coule partout. Je me lance à l’assaut de la piste dessinée par le passage répété des randonneurs. L’avantage de passer le premier et de bonne heure, c’est que les animaux sont encore dans les parages. Je rencontre beaucoup de rennes. Je profite d’une pause pour jouer à cache-cache avec un petit troupeau d’une vingtaine de têtes afin de pouvoir les approcher et les photographier. J’avance pratiquement à quatre pattes derrière des rochers pour ne pas me faire voir… Bref, ce n’est pas tout, mais j’ai de la route. Mon sac me fait moins mal ce matin. J’ai apporté une petite modification à son réglage. Il me coupe moins les épaules.

Dans cette vallée, tout est à voir. Les troupeaux de rennes, les fleurs et la flore en général. Les couleurs d’automne commencent à être belles. D’ici une ou deux semaines, ça devrait être encore plus beau. Les feuilles des bouleaux virent au jaune, et la toundra se pare de teintes pourpres. J’ai fait beaucoup de photos aujourd’hui. Je me retourne souvent pour continuer à admirer ce paysage. En arrivant sur un petit col, la « porte » se ferme sur cette vallée de Singi. Cette porte qui en même temps s’ouvre sur la vallée de Sälka (c’est ainsi que j’ai nommé ces vallées). Là encore, c’est un enchantement. L’immensité des lieux. Des massifs de chaque côté. Une rivière en contrebas. La toundra pour seule végétation. Des névés accrochés aux flans des montagnes. Un glacier sur ma gauche. Le refuge de Sälka apparaît d’un coup après que j’ai passé une petite butte. Il est 11h30 lorsque j’y arrive (j’ai remis ma montre à l’heure). Je reconnais les lieux. Je m’y arrête pour grignoter quelques gâteaux qui me font office de déjeuner. Dans ce refuge, il y a une petite boutique où l’on trouve de quoi se ravitailler en nourriture notamment. J’achète des petits gâteaux, des biscottes Wasa et des pâtes. D’ici quelques jours je serai à cours de vivres. Mon sac s’alourdi d’un petit kilo. Heureusement que je n’ai pas à porter d’eau, si ce n’est le demi-litre que j’ai pour boire en marchant. Ici, il suffit de se baisser pour en trouver.

Je me remets en marche. Je quitte la Kungsleden pour faire une variante. Direction Nallo. C’est un secteur que je ne connais pas. Sur la carte, je repère un coin où je pourrai camper à environ trois kilomètres. J’ai d’abord droit à une bonne grimpette que j’aurai volontiers fait à reculons. Comme en quittant la vallée de Singi, je me retourne et m’arrête sans cesse pour observer. En prenant de l’altitude, cette vallée a une autre dimension. Le refuge de Sälka semble désormais bien minuscule. J’arrive en haut du col. Un dernier coup d’œil sur Sälka, et je découvre la nouvelle vallée qui mène à Nallo. Je longe la rivière dans un dédale de pierres. Puis c’est un marécage que je dois traverser. A perte de vue. Des cairns indiquent le chemin. Les pierres sur lesquelles je pose les pieds pour ne pas les mettre dans l’eau sont glissantes. Je manque de tomber à plusieurs reprises. Mes bâtons de marche m’aident à tenir l’équilibre. Mais où vais-je planter ma tente ce soir ? Le problème des cartes, c’est qu’elles n’indiquent pas toujours l’état du sol. Des pierres, de l’eau, de la tourbe. Je n’ai pas d’autre choix que de continuer. J’aperçois un coin de verdure plus loin, à l’écart du chemin. De la toundra. Il y a des cairns d’ailleurs. Des gens y ont certainement campé. Et en effet, le terrain est propre. Du lichen au sol. En moins de vingt minutes mon camp est prêt. Une rivière qui descend du glacier est un peu bruyante. Mais elle ne devrait pas m’empêcher de dormir. Je fais le plein d’eau pour cuire mes pâtes ce soir. 14h30. J’ai l’après-midi pour me reposer, lire et écrire.

 

Dimanche 17 août. 5ème jour. 15 km.

Alors qu’il a dû pleuvoir une bonne partie de la nuit, ce matin les nuages laissent passer quelques rayons de soleil. La vallée dans laquelle je suis s’en trouve encore embellie. Lumineuse. Je constate que les sommets autour de moi sont recouverts d’un fin manteau blanc. Il a neigé à une altitude à peine plus haute que la mienne. Ces massifs me dominent de 200 ou 300 mètres tout au plus. Il a effectivement fait froid cette nuit et notamment au petit matin. J’ai eu du mal à retrouver le sommeil après 5h. J’avais froid aux jambes et aux pieds. J’ai fait un petit oubli dans la liste de mon équipement. J’ai oublié de mettre des chaussettes en laine pour la nuit. Mes chaussettes de marche ne sont pas chaudes du tout. Heureusement, j’avais prévu mon drap de soie. C’est un excellent apport thermique. 

J’ai pris le temps de me préparer. Une bonne toilette dans le ruisseau glacé pour me réveiller. Je me mets en route à 9h après avoir fait des photos de tout un carré de linaigrettes tout près de mon camp. Elles sont très belles avec des têtes bien rondes. C’est parti pour Vistas. C’est sauvage comme endroit. C’est beau. C’est dans ces moments-là que j’aimerai partager ces émotions. Le refuge de Nallo, minuscule, apparaît devant moi. Je ne m’y arrête pas. Il semble désert. Peut-être que le gardien est allé faire une balade après le départ de tous le randonneurs. Cela dit, vu le nombre de personnes que j’ai croisé (personne), il ne devait pas y avoir foule au refuge hier soir.

La suite du parcours est bien moins drôle. La piste traverse une étroite vallée remplie de pierres. Des cairns sont les seuls repères de la piste. Il suffit toutefois de longer la rivière. Impossible de s’égarer. C’est tout droit. Mais la progression est pénible. Attention à ne pas glisser sur une pierre bancale. Ne pas se tordre une cheville. Il faut avancer doucement et prudemment.

Côté météo, c’est mieux qu’hier. Il y a de beaux passages ensoleillés entre deux averses. Mais ce ne sont que quelques gouttes. Rien de plus.

J’en ai plein les jambes et plein le dos de marcher sur ce terrain infernal. Après les pierres, ce sont des marécages et des rivières à traverser. Je me loupe sur l’une d’elles. Mon pied s’enfonce, et l’eau passe par-dessus la chaussure. Bravo. Chaussette mouillée ! Ca va être commode de faire sécher ça. Vers 15h30, le refuge de Vistas est en vue. Il semble petit lui aussi. Je vais planter ma tente à proximité. En sortant de la vallée « infernale » (comme je l’ai baptisée), je débouche sur une immense plaine. Une végétation dense la recouvre. Quelques rennes n’ont aucun mal à trouver leur bonheur. Un beau mâle aux bois proéminents ne m’a pas vu arriver. Il n’est pas très loin de moi. Je pose mon sac et me mets à genoux pour ne pas l’effrayer. Je change l’objectif de mon appareil photo, sans gestes brusques. Il relève la tête. Il m’observe. Je ne bouge pas. Il se remet à brouter. Il avance tranquillement vers moi tout en m’ayant à l’œil. Je l’ai dans mon viseur. Il est superbe. Cette scène durera près de 10 minutes. Il s’est baladé à quelques dizaines de mètres de moi, puis s’en est allé, effrayé par des randonneurs bruyants, bien moins intéressés par la faune. Merci pour ces belles photos l’ami.

Le refuge est vide. Un mot à l’entrée dit que la gardienne est partie en promenade près de la rivière. Sur une table à l’entrée, sont alignés des paquets de gâteaux, café, thé, pâtes, une feuille sur laquelle sont indiqués les prix, et une boîte métallique qui sert de caisse. C’est la « mini-boutique » du refuge. Cette confiance est vraiment agréable. Servez-vous. Payez et faites votre monnaie.

Je trouve un coin pour planter ma tente. Le soleil brille et chauffe fort. Je dois retirer ma veste. C’est agréable. Malheureusement, vu les nuages qui arrivent au loin, je doute que ce beau temps ne dure bien longtemps. J’en profite pour faire un brin de lessive à la rivière. Alors que j’étends mon linge, j’entends quelque chose gratter à l’intérieur de la tente. J’y trouve un petit rongeur en train de fouiller mes sacs de nourriture. Heureusement, tout est bien fermé. Il faut donc que je me méfie. Ne jamais laisser la porte de la chambre ouverte, et ne rien stocker sous l’abside.

 

Lundi 18 août. 6ème jour. 18 km.

Il y a des nuits où tout semble parfait pour bien dormir. Un beau campement et une température bien moins froide que la veille. Mais c’est sans compter sur mon petit cambrioleur de la soirée. Ce satané rongeur n’a pas cessé de venir gratter autour de ma tente. 4h du matin. Je me réveille encore en sursaut. Il était au niveau de ma tête, juste de l’autre côté de la toile. J’ai même vu son ombre par transparence. Brrr. Qu’est-ce que c’est désagréable. C’est seulement entre 4h et 7h que j’ai pu dormir sans être dérangé. La lumière du jour me gêne de moins en moins.Au réveil, le ciel est bas. Très bas. Mais le soleil arrive à percer par brefs moments. Mise en marche à 9h20, après être allé acheter du café au refuge. Les biscottes Wasa, particulièrement sèches, passeront mieux trempées dans le café. Objectif du jour : m’arrêter un peu avant Alesjaure, sur les plateaux, près d’un lac. Le refuge se trouve à 18 km. Un peu loin pour une seule étape. Le coin que je repère sur la carte se trouve à une quinzaine de kilomètres.Le début du sentier est conforme à ce que j’imaginais, mais en pire ! C’est à dire que je traverse une taïga faite d’une végétation luxuriante. Avec quelques degrés de plus, on se croirait dans la jungle. Le sentier n’est pas des plus fréquentés. Il pleut. Tout est trempé. Et même quand la pluie cesse, les feuilles des arbres et arbustes m’arrosent copieusement. Au sol, ce n’est que de la boue. Les pierres sont glissantes. Et bien sûr, ma chaussure droite prend l’eau. Ma chaussette est mouillée. Je marcherai avec les orteils au frais toute la journée. Ce début d’étape est pénible. Le vent souffle dans le dos, ce qui m’évite de prendre la pluie sur le visage. C’est déjà ça. Devant moi, le ciel s’ouvre et offre de beaux coins de bleu. Derrière en revanche, la pluie arrive à grands pas. Je n’ai que peu d’avance sur elle. Il suffirait que je m’arrête quinze minutes pour me faire rattraper. J’ai un peu la pression. Je passe sur les détails du genre « Dominique met un pied dans l’eau en traversant une rivière (le droit, qui est déjà mouillé) » ou encore « Dominique qui jure contre cette piste sale et glissante » etc…

Il faudra attendre le début d’après-midi pour croiser une personne qui me dit que le terrain va complètement changer d’ici un kilomètre ou deux. En effet, je sors de cette taïga pour retrouver une vallée de toundra. Quelques passages d’éboulis, mais rien de compliqué. Puis, à mesure que j’approche de la destination, le paysage change encore. Je prends de l’altitude. Un pont enjambe un torrent. En amont de ce pont, une cascade magnifique. La vue sur la vallée que je quitte est, elle aussi, superbe. J’arrive sur un plateau où il fait très froid. Le vent souffle fort. C’est là que j’avais prévu de camper. Impossible. Il fait trop froid et j’ai des vêtements mouillés, à commencer par la chaussette droite. Je consulte ma carte. Avec un peu d’effort, je devrais pouvoir gagner le refuge d’Alesjaure. S’il pleut là-bas, je dormirais au refuge. Devant moi, un paysage… Ok, j’arrête avec les qualificatifs… Du coup, ma phrase ne veut plus rien dire, mais chacun comprendra. Je ne pense plus à la douleur des épaules. Je me souviens de ce refuge que j’avais éteint dans le blizzard en 2012. La piste débouche dans le village Sáme, déserté. C’est un très grand village. Je le traverse et continue jusqu’au refuge situé un peu plus loin. Je ne m’arrête pas et file directement là où je vois une tente. Ce soir, je campe encore. Il ne fait pas froid. Je ne sais pas encore comment je vais gérer mes affaires mouillées. J’ai un jour d’avance sur l’itinéraire que je me suis fixé. Si demain il pleut, peut-être que je resterais au refuge pour la journée, comme j’ai fait à Singi l’autre jour. En tout cas, après avoir monté ma tente, la pluie a commencé.

 

Mardi 19 août. 7ème jour. 6 km

Après une excellente nuit, je n’ai aucune envie de sortir du sac de couchage. Dehors il pleut. J’entends les goutes sur la toile de tente. Il n’y a pas de vent. Je suis au chaud. Je suis bien. Vers 7h, je sors tout de même voir le temps qu’il fait. Le ciel est aussi bas qu’hier. Il pleuviote. Pas très motivé pour bouger aujourd’hui. Je retourne me mettre au chaud.

Après mes tâches traditionnelles du matin qui se résument au petit déjeuner et à la toilette, je prends quelques affaires, carte, cahier, crayon, curvimètre, et me rends au refuge. J’ai souvenir qu’il y a une grande salle dans le bâtiment d’accueil où se trouve aussi la boutique et les appartements des gardiens. De là, je vais pouvoir tranquillement réfléchir à la suite de l’aventure et définir mon itinéraire. Il me reste 4 jours pour profiter de ce paysage de Laponie, et j’ai seulement besoin de 3 jours pour gagner Abisko en suivant la Kungsleden. L’idée de faire un détour par Unna Alakas ne me paraît pas une bonne idée. Sur la carte, je vois la piste couper beaucoup de courbes de niveau. Cela veut dire qu’il y a beaucoup de montées et de descentes. Deux passages de col, et un gué non aménagé. Je vais faire des petites étapes jusqu’à Abisko. Une fois dans le parc national d’Abisko, je partirai à la chasse à l’élan ! J’avais bien l’espoir d’en voir dans la vallée de Vistas, notamment dans la partie de taïga. Je n’ai vu que leurs traces. Pas la moindre bête. Je serais vraiment déçu si je n’en voyais pas.

Vers 13h, le soleil fait sont apparition. Le paysage change encore. Alors je vais en profiter. Je prends quelques affaires avec moi, appareil photo, objectifs, gâteaux, eau, et je pars avec un sac ultraléger vers le village Sáme. Les enclos à rennes se trouvent de l’autre côté du village. Peut-être que j’y trouverai des bois. J’ai vu quelques randonneurs avec des bois accrochés à leur sac.

Le village est désert. Hormis une maison à l’entrée du village où un quad est garé avec deux chiens qui montent la garde. Ils ont d’ailleurs alerté leur propriétaire de mon arrivée et ce dernier est sorti pour calmer les molosses, dont un semblait avoir l’intention de me croquer. Je demande l’autorisation de traverser le village pour rejoindre le parc à rennes. Il me donne son accord et me salue. Le village est très beau. Les maisons en bois sont de belles stugas bien entretenues. Les abords sont propres. A l’instar du refuge touristique, le village est dépourvu d’électricité, d’eau courante, et bien évidemment, de téléphone. Mais les Sámes y vivent quelques mois de l’année seulement. Je regrette d’arriver trop tard pour voir les enclos pleins de rennes. La balade est bien agréable, avec le soleil en quasi permanence. Un beau passage de ciel bleu s’offre à Alesjaure. C’est loin d’être le cas partout. Plus au nord, vers Abisko, il y a de gros nuages noirs. Je rentre au campement à 17h, alors que les nuages sont de retour eux aussi. Et je rentre bredouille. Aucune trace de bois. Il faudra compter sur la chance pour le reste du parcours. Si seulement la météo de demain pouvait être la même qu’aujourd’hui, ce serait très agréable pour marcher. Ce soir, le terrain où j’ai planté ma tente depuis hier, ressemble à un véritable camping. Beaucoup de campeurs se sont installés tout autour du refuge et sur les deux versants de la rivière.

 

Mercredi 20 août. 8ème jour. 20 km.

Malgré tout ce monde, j’ai bien dormi. J’ai prévu une étape assez courte. La nuit a été parfaitement sèche. Sans pluie ni rosée. Je plie ma tente sans une goutte d’eau. Déjà les premiers randonneurs sont sur la piste. Je traverse le refuge, dépose mes ordures que je traine avec moi depuis plusieurs jours, et prends la direction d’Abiskojaure. Mais d’où sortent tous ces gens ? C’est une autoroute. Il faut dire que les trois étapes précédentes, j’avais quitté la Kungsleden pour emprunter des itinéraires bien moins fréquentés. Je marche toujours lentement, prenant le temps d’admirer et faire des photos. Je crois que la plus grande liberté c’est de ne pas se fixer d’objectif. J’avance. Jusqu’où ? Pour l’instant je ne sais pas. Un rayon de soleil fait son apparition et le vent cesse. Je m’arrête pour retirer mon sur-pantalon imperméable et ma veste. Je continue en tenue plus légère. C’est agréable. Je suis également toujours à la recherche de bois de renne. Alors je scrute des yeux la toundra. Mais rien.

Petite déception en arrivant à la hutte de Radunjarga où j’avais passé une nuit seul au milieu de nul part. J’avais coupé et fendu mon bois pour le poêle. La piste d’été passe à l’écart. Cette hutte se trouve au milieu d’un marécage et n’est accessible que l’hiver une fois que tout est gelé et recouvert de neige.

Mais le vent souffle de nouveau au bout d’une vallée. Il faut se couvrir. J’enfile même mes gants. Je cherche un endroit pour camper. Il n’est que 14h, et je suis arrivé à peu près là où je voulais. Mais il y a trop de vent, et pas d’eau sur ce plateau. Ce soir, il faut que je me lave et que je fasse un peu de lessive. Je commence à sentir le fauve !

Je prends une piste qui part vers l’est. Le vent souffle encore plus fort et aucun endroit pour planter la tente. Je rebrousse chemin. Sur ma droite, un peu en retrait de la piste, j’aperçois quelque chose de blanc qui dépasse de la toundra. C’est un bois ! Il est beau. Je l’attache à mon sac. Je ne rentrerai pas bredouille ! Je rejoins la Kungsleden et cette fois je prends vers l’ouest. Et un deuxième bois ! Plus long. Je suis chanceux ce soir. Je monte un col tranquillement. Mon genou, qui me fait mal depuis le début de l’aventure mais sans trop me pénaliser, commence à se faire sentir un peu plus fort. Passé le col, c’est un paysage totalement différent de ce que j’ai vu jusque là. Tout en bas, au fond de la vallée, il y a un village Sáme. La végétation est une taïga. Le soleil l’éclaire par moment. Ce versant est protégé du vent. J’ai à nouveau chaud. La descente est terrible pour le genou. Pommade et anti-inflammatoire n’y font rien. Il faut pourtant que j’arrive jusqu’au village. Il n’y a pas de cours d’eau avant. Alors j’avance tranquillement. Il n’y a pas âme qui vive dans ce coin. Ni homme, ni animal. Pas même un oiseau. Je suis étonné de voir la quasi-totalité des bouleaux morts. C’est étonnant. On se croirait en hiver.

J’arrive au niveau de la rivière. Dur dur. Un pont métallique l’enjambe. Un torrent passe en-dessous. Fantastique. Un fort débit et des rapides à travers un petit canyon. J’y fais une pause avant de partir visiter le village désert et trouver un endroit où camper. Alors que je me croyais tout seul, je vois une fille en train de bricoler son sac à dos. Nous sommes tous les deux surpris de nous voir. Son copain est en train de puiser de l’eau à la rivière. Ils sont suisses. Je continue ma traversée du village et je vois un homme sur la terrasse de sa maison. Je vais à lui pour le saluer et l’informer de mes intentions de camper non loin d’ici. C’est un Sáme qui est resté au village jusqu’à la fin de la semaine, avec sa femme qui nous rejoint sur la terrasse. Il est en charge de contrôler l’état des enclos à rennes, m’explique-t-il dans un anglais que je lui envie. Nous discutons un bon moment. Il me dit que le village n’est occupé que deux mois de l’année, juin et juillet. Ensuite, la transhumance emmène tout le monde vers Kiruna. Combien de rennes, lui demandé-je. « Oh des milliers », répond-il. Puis il en vient à parler des bouleaux morts. Il y a deux ans, des chenilles ont envahi le secteur et ont tout décimé, même les jeunes pousses. Un désastre. Tout est mort et il faudra couper tous les arbres qui menacent de tomber sur les habitations. Dans une taïga, les bouleaux ne font que 3 ou 4 mètres de haut. Et cela leur prend des années. Je demande si j’aurai une chance de voir des élans dans la taïga que je dois traverser demain. Il me répond en souriant « peut-être, j’aimerai bien moi aussi ». C’est vrai que c’est bientôt la saison de la chasse à l’élan en Suède. Malheureusement, l’état de la taïga et notamment des bouleaux dont les élans se nourrissent des bourgeons, fait qu’ils se font rares.

M’ayant indiqué un endroit où camper près de la rivière, je salue ces gens charmants et reviens sur mes pas, pour m’installer près du pont. Ma tente surplombe la rivière. Je suis épuisé ce soir. Une fois mon camp dressé, je descends au bord de l’eau pour me laver et faire un brin de lessive. Que l’eau est froide ! C’est une horreur. Et le soleil s’est caché. Aucune photo ne viendra témoigner de la scène. Mais imaginez-moi au bord de la rivière gelée en train de me savonner des pieds à la tête, et me rincer en serrant les dents. En sortant de l’eau, j’ai l’impression qu’il fait chaud. J’enfile mes vêtements et remonte à la tente. Je me sens plus propre. Malgré tout, ça fait du bien. Une fois bien réchauffé, je consulte la carte et constate que j’ai parcouru vingt kilomètres aujourd’hui. Finalement, c’était une longue étape. Mais une belle étape, conclue par une belle rencontre.

 

Jeudi 21 août. 9ème jour. 16 km.

Bien dormi. Le bruit de la rivière, digne d’un avion, ne m’a pas dérangé. Alors que je suis encore bien au chaud dans mon sac de couchage, je sens qu’il fait froid dehors. L’air que je respire est bien frais. Aujourd’hui, j’ai une quinzaine de kilomètres à faire.

La douleur à mon genou semble calmée. Je commence à marcher tranquillement, sans forcer. Il est 10h. Je ne suis pas en avance, mais après tout, je ne suis pas attendu. Et même si les jours raccourcissent vite, il ne fait pas nuit avant 22h30. Hier soir, j’ai dû me servir de la lampe frontale pour lire. Ce n’était pas le cas la semaine dernière. J’avais calculé que pendant mes dix jours ici, la durée d’ensoleillement, à cette latitude, diminuerait de 1h25. C’est surtout visible le soir. Cela dit, que le soleil se lève à 3h30 ou à 4h, moi je dors.

Le paysage est verdoyant. Taïga bien moins dense qu’à Vistas. Le chemin est bien dégagé. La progression est facile. Toutefois, j’avance doucement et à pas de loup pour tenter de voir des animaux. Une chouette qui m’a vu avant moi, s’envole à mon passage. Le soleil brille. Plein ciel bleu. C’est tellement agréable. Toujours aucune trace d’élan. Au bout de six kilomètres, j’arrive au refuge d’Abiskojaure. Je n’avais plus souvenir qu’il était si grand. Je vais voir le gardien pour accéder à la boutique et acheter des petits gâteaux (j’en fait une grosse consommation, mais je saute le repas de midi). En discutant avec lui, il m’informe que j’entre dans le Parc National d’Abisko, et que le camping y est règlementé. Le seul point de campement possible est à une dizaine de kilomètres d’ici. Parfait. C’est justement vers l’endroit où je souhaitais m’arrêter, laissant environ six kilomètres à faire demain matin pour passer la ligne d’arriver à Abisko vers midi. Je lui paie mes gâteaux en lui donnant de la petite monnaie (rapportée de mes précédents voyages en Suède). Il se met à rire en regardant mes pièces et me fait remarquer que les pièces de 50 centimes (de couronne suédoise) n’ont plus cours depuis longtemps. La Suède a supprimé ses pièces orange. Je ramène donc ma petite monnaie.

Toujours beaucoup de monde sur la Kungsleden, bien que cela reste relatif. J’ai peut-être croisé quinze personnes aujourd’hui. Il fait toujours un temps magnifique mais le paysage est moins intéressant. Je préfère les vallées désertiques du début de parcours. Néanmoins, le ciel bleu, les rivières puissantes, les massifs verts… donnent de belles photos. Mais où sont les élans ?

17h. J’arrive au point de campement autorisé. Un point d’information, des toilettes sèches et des emplacements où les gens font leur feu de camp. Je trouve un superbe petit coin, au bord de l’eau. Accès privatif à la rivière ! Ce soir, je tente le feu de bois. Ca peut –être sympa pour terminer mon livre. Pour ça, il me faut du bois. J’y vais.

Tentative infructueuse. Je mets ça sur le compte de l’humidité. Les brindilles prennent bien, mais pas le gros bois. De plus, la fumée part à travers les arbres en direction des autres tentes. Oublions le feu. Je termine mon livre dans ma tente.

 

Vendredi 22 août. 10ème et dernier jour. 6 km.

Je suis réveillé à 7h. C’est tôt. Je voulais profiter de ce dernier campement, mais j’ai faim ce matin. Je fais chauffer de l’eau pour mon café et termine mes biscottes Wasa. Tranquillement je plie mon camp. Il y a de moins en moins de choses dans mon sac, désormais allégé de la nourriture.

9h20, je me lance une dernière fois sur la Kungsleden. Dans six petits kilomètres, je serai à Abisko. Terminus de cette aventure. Je n’ai vraiment pas envie de quitter ce décor. Je m’arrête très souvent. Le soleil brille comme hier. J’ai du mal à croire que d’ici quelques heures, tout ça sera derrière moi. Demain matin, je prendrai un vol pour Stockholm, où je passerai la journée avant le retour en France.

Plus j’approche d’Abisko, plus il y a du monde sur la piste. Des gens qui font une balade matinale et d’autres qui partent à la journée, avec des petits sacs à dos.

Arrivée à Abisko Turiststation. Que de monde ! Des voitures, des bus. Un train. Du bruit. Retour à la réalité. Je vais me poser ici quelques heures le temps de déjeuner (un vrai repas au restaurant de la station) et attendre l’arrivée d’Annette et Pascal. Nous irons nous promener autour du canyon d’Abisko. L’aventure est terminée. C’était vraiment chouette !

 

Donc voilà…

Durant cette aventure et les 130 km parcourus, j’aurai découvert une autre facette de la Laponie suédoise. Des paysages verts où l’eau coule abondamment. La toundra, la taïga, les marécages, les pierriers. Des animaux aussi. Plus nombreux qu’en hiver. Les rennes, les lagopèdes, un renard roux, une chouette, un lièvre (vu à Abiskojaure), des oiseaux en tout genre, sans oublier les rongeurs. Je regrette de n’avoir pas vu d’élan. J’aurais tellement aimé en croiser avec leurs grands bois. Des rencontres intéressantes sur la Kungsleden. J’ai croisé beaucoup de monde sur les sentiers. Les échanges se limitaient à un bonjour courtois. Mais je garderai une forte émotion à la surprise de revoir Ingo à Singi. Je me souviendrai aussi de la discussion avec le Sáme du village de Rovvidievvá.

Ces paysages, ces vallées, ces massifs, je les aurais faits en hiver et en été. Même lieu. Mais tout est différent. Et tout est très beau quelque soit la saison. Je réserve toutefois une petite préférence à l’hiver. Je me suis souvent imaginé cette nature aujourd’hui en mouvement qui, d’ici quelques semaines, va progressivement se figer. Les cours d’eau vont geler. La glace et la neige vont donner une apparence de léthargie. Mise en sommeil de la nature. Sorte d’hibernation.

C’était une belle aventure, une de plus. J’ai adoré. 

 

L’itinéraire final

C’est toujours une bonne chose que de se fixer un objectif. Prévoir un itinéraire. Mais c’est tellement agréable de pouvoir s’adapter. C’est pourquoi je parlais, en introduction, d’errance. En effet, je me suis baladé en Laponie suédoise au gré de mes envies. J’ai mis à jour la carte du parcours que j’ai finalement réalisé. Si vous avez l’occasion de vous rendre dans de telles régions, un conseil : prenez le temps. Observez. Admirez. Carpe idem !

 

 

Diaporama de quelques photos réalisées durant ce trek (disponible en HD). La musique est signée Maxida Märak, chanteuse sami. iTunes