Groënland 2017

Balade estivale à Ilulissat

Août 2017

J’ai posé le pied au Groënland en mars 2014 pour la première fois. Tout de suite, ce fut un enchantement. En 2016, lorsque j’y suis retourné mieux préparé pour accéder à la calotte glaciaire, j’ai rencontré des pêcheurs inuits. J’en ai gardé des souvenirs incroyables. Je m’étais alors promis de retourner à Ilulissat mais en été. J’imaginais déjà des paysages très différents avec beaucoup de verdure et d’eau à l’état liquide. Des lacs, des ruisseaux, des rivières…

Je n’ai pas trouvé grand chose sur internet concernant des treks estivaux à partir d’Ilulissat. Le trek le plus connu étant l’« Arctic Circle Trail » entre Kangerlussuaq et Sissimiut, deux villes situées sur le cercle polaire. Cependant, des tracés existent sur les cartes pour gagner la calotte glaciaire depuis Ilulissat. Alors je tente le coup. Après, la nature décidera. En tout cas, je me fixe cet objectif sans qu’il y ait un enjeu. Je suis en vacances. Je vais me « promener » au Groënland !

A propos du nom « Groënland », Greenland en anglais, et je vous passe le nom en danois et islandais, ce serait Erik Le Rouge, viking islandais qui en serait à l’origine. Il aurait trouvé l’île particulièrement verte par rapport à son île volcanique.

 

De Marseille à Ilulissat

Samedi 12 mars. Première partie du voyage

Je pars de Marseille pour un long voyage, comme d’habitude, pour aller au Groënland, à Ilulissat. Je vais transiter par Bruxelles, puis Copenhague où je vais passer une nuit avant d’enchaîner avec deux autres vols vers Kangerlussuaq puis Ilulissat. Jusque-là, le voyage s’est très bien passé, bien que long et épuisant à force d’attendre entre 2 vols notamment à Bruxelles où il pleuvait. Mon gros sac à dos m’a toujours suivi. C’est toujours ma principale crainte lorsque je voyage. 

Dimanche 13 mars. Arrivée au Groënland

La seconde partie du voyage est nettement plus intéressante. C’est celle qui m’amène au Groënland. On survole l’Islande, puis quelques temps plus tard, les premières glaces sont en vue. Des icebergs dérivent dans l’Atlantique nord. Les côtes groënlandaises sont en vue. L’est de l’île (oui, le Groënland est une île), est très montagneux. Il y a beaucoup de neige. On aperçoit la couleur de la roche par endroit, mais c’est tout de même le blanc qui domine. Puis rapidement, il n’y a plus que du blanc. A perte de vue. Nous survolons la calotte glaciaire. Par endroit, de l’eau à l’état liquide forme des lagons bleu azur.

J’ai un peu discuté avec le jeune groënlandais assis à côté de moi durant le voyage. Il rentre de Prague où il était en vacances avec sa famille. Il a beaucoup aimé et a trouvé la vie très économique là-bas. Il faut dire que la vie au Groënland est particulièrement chère. Il rentre à Nuuk, la capitale. Pour m’amuser, je lui demande de me prononcer le nom de la petite ville (si on peut appeler ça une ville) où nous allons faire escale : Kangerlussuaq. Impossible pour moi. Après de multiples tentatives, je n’arrive pas à prononcer les syllabes correctement. Le L et les S ne se prononcent pas comme chez nous : il faut presque dire « Kangerchouchouaq », en estompant le Q. Sauf que le son « CHE » ne se fait pas en mettant la bouche en cul de poule comme chez nous, mais il doit sortir du fond des joues, au niveau des molaires. Essayez ! nos zygomatiques ne sont pas entraînés pour ces sons. Il a tenté de me faire prononcer d’autres noms de villes qu’il me montre sur une carte qui figure dans le magazine de Greenland Airlines. Bref, nous avons bien ri.

Après quelques heures de transit à Kangerlussuaq donc, nous voilà à Ilulissat. Toujours impressionnant d’atterrir sur cette toute petite piste. Le freinage est brutal. Je pose le pied sur ce tarmac pour la 3ème fois de ma vie. Les fois précédentes en revanche, il y avait de la neige. Les bagages sont déchargés rapidement et je récupère mon sac. Je dépose à la consigne quelques affaires dont je n’ai plus besoin à partir de maintenant (chargeur de téléphone, documents de voyage…). Mon sac est très lourd alors chaque gramme compte.

Je fais les 4 kilomètres qui séparent l’aéroport de la ville à pied. Je suis escorté par des dizaines de moustiques et de petites mouches. C’est infernal. En arrivant en ville, je croise les premiers habitants. C’est amusant, mais j’ai presque envie de dire bonjour à tout le monde tellement je suis content d’être de retour dans cette petite ville. J’ai envie de leur dire « salut tout le monde, je suis de retour ! Vous vous souvenez, le gars qui a préféré dormir sous sa tente en hiver 2016 parce qu’il faisait trop chaud dans la cabane des pêcheurs, c’est moi ! ». J’aime ces gens. Ils sont souriants. Tous me sourient en me voyant avec mon sac sur le dos. Peut-être qu’ils sourient à tout le monde en fait. Ils me sont sympathiques.

J’apprends que le Pissifik, le grand supermarché de la ville, est ouvert aujourd’hui. Mission, trouver du gaz pour mon réchaud. Avant ça, je veux planter ma tente. Je me renseigne pour savoir où se trouve le terrain de camping. Je sais que c’est vers l’ancien héliport mais rien n’est clairement indiqué. De toute façon, c’est simplement une zone où l’on peut planter sa tente, bien que le camping sauvage soit autorisé. Il n’y a aucun service : pas de point d’eau, pas de toilettes… ça reste du camping sauvage. Finalement, mon souvenir était bon. La zone se trouve bien entre l’ancien héliport et le vieux cimetière. Il y a déjà 3 tentes. Je me trouve un petit coin plat avec vue sur les plus hauts icebergs. Je redescends en ville pour chercher du gaz et des bouteilles d’eau. Je devrais faire plusieurs magasins pour finalement trouver du gaz dans la boutique d’électro-ménager à côté du Pissifik. Normal de trouver du gaz entre le rayon TV et les machines à café…

17 heures. Mon camp est prêt et mon équipement est désormais au complet. Je peux me reposer. Il fait un temps superbe. 20°C et un grand soleil. Pas un nuage, pas de vent. On peut même dire qu’il fait chaud.

Après dîner, je ne résiste pas à aller au bord de l’icefjord pour admirer les icebergs. C’est magique. Les températures baissent rapidement mais je reste là pour voir le coucher de soleil. Peut-être que c’est la fatigue du voyage ou le décalage horaire (-4 heures), mais j’oublie que la région est encore dans le jour permanent. Nous sommes à une latitude de 68° Nord, bien au-dessus du cercle polaire. 21 heures, le soleil est encore haut dans le ciel. 22 heures, je tombe de sommeil. Je ne sais pas si le soleil se couchera ce soir, mais il m’aura vaincu.

Une journée à Ilulissat

Lundi 14 août.

Nuit un peu agitée. Entre le décalage horaire et les chiens qui passent leur temps à hurler, j’ai très mal dormi. Je me suis levé une première fois à 2h. Il faisait totalement jour. Je me demande si la nuit est tombée en fait. D’ici la semaine prochaine, ça devrait aller mieux. Les jours raccourcissent de 10 minutes par jour. Température de 5°C au petit matin. Je suis bien au chaud dans mon sac de couchage, et je n’ai absolument pas envie de me lever. Une grosse flemme ! Comme toujours, les premiers jours de trek sont difficiles. Aujourd’hui, c’est le lendemain d’un long voyage. Ce petit coup de fatigue est normal.

Après m’être quand même décidé à bouger, je suis allé me balader près des icebergs, au bord de l’icefjord. Toujours les mêmes sensations devant ces monstres de glace. Je suis émerveillé. Il y a beaucoup de glace sur l’eau. Des icebergs énormes bien sûr, mais aussi des plus petits glaçons. Il y en a forcément beaucoup plus qu’en hiver. La calotte glaciaire vêle encore. Il faudra attendre que les températures baissent pour que le glacier s’immobilise à nouveau pour s’endormir durant l’hiver polaire.

Les lumières sont magnifiques. Moi qui aime faire des photos, je me régale. Entre les couleurs de la roche, de la végétation et de la glace, on trouve des teintes et des contrastes vraiment intéressants. Pas un souffle de vent. La mer est d’huile. Les icebergs se reflètent dans l’eau comme dans un miroir. Les icebergs seraient-ils un peu narcissiques ? Mais ces miroirs sont sans tain. La clarté de l’eau laisse entrevoir la partie immergée de ces colosses. Une glace d’un bleu azur qui donnerait envie de s’y baigner. Enfin, juste en rêve. J’ai mis une main dans l’eau pour tester la température. On comprend pourquoi les inuits ne savent pas nager !

Ce que je vois de mes yeux, je peux le photographier. Vous verrez les photos. J’espère qu’elles seront à la hauteur de la réalité. Mais j’aimerai aussi vous parler des sons. Parce que toute cette glace vit. Comme des monstres paisibles, ils semblent respirer. Ils bougent. Parfois c’est imperceptible car la dérive est lente. Les blocs les moins gros se laissent bercer par le courant. Alors lentement ils avancent. Entrant en collisions les uns avec les autres, des blocs se fissurent, se brisent, et se retournent. Dans un grondement sourd, comme un orage lointain, qu’on entend sans rien voir bouger. Des blocs de glace tombent à l’eau. Des craquements qui laissent penser qu’un iceberg vient de se briser. Parfois, j’ai la chance que ce soit un petit iceberg devant moi qui se mette en mouvement. Alors qu’on le croit endormi, il se retourne. Comme s’il changeait de position dans son lit pour se rendormir, bercé par une petite houle qu’il vient lui-même de provoquer. Puis la mer retrouve son calme. Les grondements continuent au loin, là-bas, derrière cet autre monstre. A moins que ce ne soit derrière celui-là… Je ne sais pas. Je ne vois rien bouger. C’est frustrant. La nuit dernière quand j’essayais de trouver le sommeil, je les entendais ces sons. Pourtant ma tente est à plus d’un kilomètre de la côte. 1 km. Finalement ce n’est rien pour cette glace qui vient de la calotte glaciaire dont le front est à 60 km de là.

J’avais prévu de lever le camp aujourd’hui pour commencer mon périple et partir dans les montagnes avec pour objectif la calotte glaciaire justement. Mais je me sens fatigué. Tout « flagada ». Je décide de passer une nuit de plus ici. Je suis allé au Pissifik acheter un plat cuisiné pour midi. Du mouton avec des pommes de terre. Une petite sieste. Deux heures tout de même. Ça ne m’arrive jamais. C’est signe que j’ai du sommeil en retard.

Au réveil, ma voisine de camp, une danoise d’un certain âge qui est là toute seule, m’indique qu’on peut prendre des douches au gymnase. Dans l’après-midi, au cours d’une balade en ville, je passe me renseigner, et j’ai la confirmation que c’est possible. Du coup, en fin de soirée j’y retourne et j’en profite pour me raser et faire un peu de lessive.

Ce soir je suis en forme. Propre et reposé. Demain matin, je lève le camp à la première heure. La température est de 16°C.

 

Une longue marche vers les hauteurs

Mardi 15 août.

J’écris mon road book le soir, une fois installé dans ma tente. Ce soir, en notant la date, je réalise que c’est un jour férié. Ce n’est pas le cas au Groënland. La principale religion étant le Christianisme Protestant.

La nuit a encore été agitée à Ilulissat. Réveillé à 3h. Je me force quand même à rester au lit pour gagner sur le décalage horaire. Vers 6h30, c’est une succession de grondements énormes qui donnent le top départ. Qu’est-ce que j’aimerais assister à ces mouvements d’icebergs. J’ai déjà vu des vidéos sur internet, mais le voir en vrai, ça doit être impressionnant. Il ne faut pas se trouver sur les plages au moment où un iceberg se brise. Il y a des petits panneaux qui préviennent des risques de tsunami. Après avoir déjeuné et m’être rapidement lavé, je plie le camp. Je suis motivé. Aujourd’hui, je pars dans les montagnes. Celles que j’ai parcouru en 2014 et 2016 alors que tout était recouvert d’un manteau blanc, de neige et de glace.

Au final, ce fût une longue journée de marche. Le sac est un fardeau. Il pèse environ 23 kg. Le terrain est difficile. A la sortie d’Ilulissat, il faut contourner une immense zone marécageuse et plusieurs lacs. En hiver, cette zone, entièrement gelée, se traverse en ligne droite ! Au bout d’une heure, mon sac commence déjà à me faire mal aux hanches et aux épaules. Mais ce sont surtout les muscles des jambes qui souffrent. Je fais des pauses fréquemment. Autre problème : l’orientation. Sur la carte, il y a un tracé qui est dessiné. Mais sur le terrain, il n’y a rien. Pas de balisage ni de trace de passage. Je dois me repérer à la boussole. Avec une échelle au 1/100 000 et des courbes de niveau tous les 20 mètres, la carte n’est pas très précise. En comparaison, nos cartes IGN sont 4 fois plus précises. Résultat, il me faut plus d’une heure pour trouver le passage qui me permet de franchir le premier massif. Mon objectif du jour est justement d’arriver au somment de ce massif qui surplombe Ilulissat. Une fois sur les hauteurs je chercherai un endroit pour planter ma tente. Les étapes suivantes devraient être moins compliquées.

En attendant, ça ne cesse de monter. Lorsque j’arrive à un col, un autre apparaît devant. C’est sans fin. Je monte, je m’oriente, je cherche le passage, et je continue. J’ai l’impression de ne pas avancer. C’est épuisant. Heureusement, il fait un soleil magnifique. Le ciel est bleu. Pas un seul nuage à l’horizon. Le paysage est superbe. C’est un paysage totalement différent qui s’ouvre devant moi en comparaison avec l’hiver. Il y a tout de même une contrepartie à ce beau temps : les insectes. Je suis escorté par des milliards de petites mouches et de moustiques. Je marche en t-shirt. Je me suis mis du spray anti-moustiques sur les bras, mais ça n’a pas l’air très efficace. Il fait trop chaud pour marcher avec des manches. Tant pis pour les piqûres. En revanche, la moustiquaire de tête devient indispensable. Sans ça, ces bestioles se logent dans les oreilles, la bouche, le nez… bref, c’est insupportable. J’ai un peu l’impression de marcher avec une burka, la visibilité étant réduite à cause de ce voile. Il faut faire des choix. La burka ou les moustiques !

Arrivé au sommet, je dois encore trouver un coin avec un lac ou un ruisseau pour planter ma tente. Il me faut de l’eau, indispensable pour la cuisine et la toilette. Je trouve un joli lac, un peu en contre-bas du massif où je suis. L’endroit est très agréable. De beaux massifs pas très hauts bordent ce lac et le sol semble assez plat. A 16 heures, mon camp est monté. Vraiment, c’est superbe. En plus, il fait toujours chaud. Plus de 20°C.  J’en profite donc pour me laver. Je serai bien allé nager un peu pour me détendre mais l’eau est glacée. Je me contente donc je prendre une douche depuis le bord, de l’eau jusqu’aux genoux. Malgré la température de l’eau j’y vais de bon cœur. Après cette longue journée de marche par cette chaleur, j’en ai bien besoin. C’est quand même un peu une séance de cryothérapie !

Après cette bonne toilette, je me réfugie dans ma tente. Il y fait chaud. Mais surtout, elle me protège des moustiques. Soudain, j’entends un hurlement, comme un loup. Je n’ai pas entendu parler de loup au Groënland. Pourtant ça y ressemble bien. Ça semble venir de l’autre côté du lac. Je sors voir. Et en fait, au milieu du lac, se balade une oie bernache. Elles sont nombreuses ici. Je ne savais pas que ça hurlait comme ça. Un peu plus tard, elle se met à chanter. C’est très beau. J’espère simplement qu’elle va dormir cette nuit. Sinon, ça promet une nuit pénible… Une seconde oie vient rejoindre la première. Il n’y a plus aucun bruit dans ce petit coin. Dans la soirée, alors que les températures baissent, les insectes disparaissent. Je peux admirer mes deux voisins, paisibles sur ce lac étale. Belle soirée.

Il faut avancer. Je suis très en retard.

Mercredi 16 août.

En été comme en hiver, l’épreuve la plus dure de la journée est de sortir du sac de couchage. Alors certes, c’est quand même plus simple quand il fait 5°C plutôt que -20°C, mais quand même. Dehors, il fait beau temps malgré un léger voile nuageux. Les prévisions météo que j’ai pu voir en partant l’Ilulissat indiquaient un ciel couvert pour aujourd’hui et de la pluie à partir de demain. En tout cas, je suis réveillé avant les moustiques. Je peux me préparer tranquillement.

Le sac est toujours aussi lourd et la marche pénible. Pas de sentier. Le sol est fait de tourbe et de pierres. Je produis beaucoup d’efforts pour un faible rendement. Je n’avance pas. Beaucoup d’arrêts pour me détendre les hanches, les épaules et les jambes. Il me faut aussi souvent consulter ma carte et ma boussole pour m’orienter. Ce rythme très irrégulier est fatiguant. La progression en hiver est bien plus simple. Il faut évidemment franchir les cols, la région étant montagneuse, mais les lacs se franchissent en ligne droite. La glace étant solide, inutile de les contourner. Du coup, le terrain est plat et la marche régulière et efficace. Aujourd’hui, je monte, je descends, je contourne et fais de grands détours. J’avais prévu 4 jours pour atteindre la calotte glaciaire. Je pense que j’ai été un peu optimiste. En mars 2016, il m’avait fallu moins de 3 jours.

En arrivant au passage d’un col, je découvre les deux cabanes que je connais bien pour m’y être arrêté en 2014 puis en 2016. L’une, délabrée, est une ancienne cabane de pêcheurs. A l’intérieur, elle est toujours aussi sale. Quant aux abords, c’est une véritable décharge. C’est incroyable. Je ne m’attarde pas ici. La seconde cabane, bien plus luxueuse et fermée à clé, appartient à l’agence de tourisme Word Of Greenland. Je serai bien resté camper dans le coin. Ce lac est très beau. Mais il n’est que 14 heures et il faut que j’avance. Parce qu’à ce rythme-là, la calotte glaciaire aura encore reculé avant que j’arrive. Il faut que je marche deux heures de plus aujourd’hui. Je prends des forces en mangeant des barres de céréales. Je change les réglages du sac, sans grande efficacité, et je repars.

15h30, je suis mort. Il m’a fallu une heure et demi pour contourner un lac. La tourbe et les pierres sont pénibles. Je fais très attention à ne pas me blesser. Depuis que je suis parti d’Ilulissat hier, je n’ai vu personne. J’ai trouvé un bel endroit pour camper. Au bord d’un petit ruisseau, sur une petite butte en face de deux lacs. Pendant que je prends un café, la pluie commence à tomber. Il était temps de s’arrêter pour aujourd’hui finalement.

Le camp

Comment j’organise mon camp ? Tout d’abord, je choisi un bel endroit. J’aime avoir un joli paysage devant moi, avec une vue assez dégagée. Je n’aime pas être dans une cuvette. Il me faut aussi un point d’eau, indispensable pour la cuisine notamment. 

Une fois la tente montée, il faut gonfler le matelas, déballer le sac de couchage et décharger le sac. Côté tête, j’y mets le linge, matériel photo, livres, montre, cartes, cahier… Côté pieds, la nourriture, trousse de toilette et trousse à pharmacie. Dans l’abside avant, d’un côté le coin cuisine avec le réchaud, la popote et la réserve d’eau. De l’autre côté les chaussures. Dans l’abside arrière, je range le sac à dos.

Une fois le camp monté, je fais chauffer de l’eau pour faire un café ou préparer à manger ; au point d’eau, j’y fais ma toilette et ma lessive. Puis je me mets au chaud dans mon sac de couchage, un livre à la main ou de la musique dans les oreilles. J’écris également ! 

L’aventure devient imprudente

Jeudi 17 août.

Il a plu toute la nuit. Il pleut encore ce matin et il pleuvra toute la journée. Le camp est plié à la vitesse de la lumière. Ce n’est pas une pluie drue, mais c’est suffisant pour se retrouver trempé de la tête aux pieds en quelques heures. Les vêtements imperméables ont atteint leur limite. Durant toute la matinée, je marche en regardant où je mets les pieds. Le terrain est infernal. La tourbe est désormais gorgée d’eau et les pierres sont glissantes. Mon sac à dos me fait moins mal aux épaules aujourd’hui. Je l’ai mieux équilibré. Depuis mon départ, j’avais mis la tente au-dessus du sac. Avec la pluie, j’ai préféré la mettre à l’intérieur du sac pour pouvoir mettre la protection imperméable. Du coup, la charge est plus près du dos, et le centre de gravité est abaissé. C’est beaucoup mieux comme ça.

Je marche. Toute la journée je marche et je n’avance pas. J’assure chaque pas pour ne pas glisser ou pour éviter de mettre le pied dans une flaque d’eau masquée par la tourbe. Je dois aussi me repérer. Régler la boussole. Identifier le massif sur lequel je suis en me servant des lacs comme repère. Et malgré ça, je me trompe. Dans ma poche, la boussole s’est légèrement dérèglée et j’oblique trop à droite. Résultat, en arrivant en haut d’un sommet je découvre un lac qui ne devrait pas y être… Je ne suis pas sur le bon sommet. J’ai envie de jeter mon sac. J’enrage ! Entre ce terrain infernal et la pluie, je suis crevé. Trois jours de marche et je n’ai pas fait la moitié du trajet. Loin de là. Je tourne en rond. Je dois maintenant franchir un large pierrier. C’est vraiment casse-gueule. Avec le sac qui me déséquilibre et les pierres glissantes, c’est même dangereux. Un pierrier est une sorte de coulée de roches. Et dans ce secteur, ils sont de plus en plus nombreux.

En fin d’après-midi, je fais le point sur la situation. Je regarde une nouvelle fois ma carte qui commence à tomber en lambeaux à cause de la pluie. Je suis très en retard sur mon programme. A ce rythme, il me sera impossible de gagner la calotte glaciaire dans les temps. J’ai un avion à prendre la semaine prochaine. Le chemin du retour sera le même. Je devrai repasser par ces massifs, franchir ces mêmes pierriers, contourner ces mêmes lacs dans la tourbe… Après une longue réflexion, mon constat est le suivant : je suis très en retard et rien ne laisse entrevoir que je vais pouvoir accélérer plus loin. Le terrain est difficile et pas amusant. Je ne trouve pas vraiment de plaisir à marcher ou plutôt à crapahuter comme ça. Autre point important : ça fait maintenant 3 jours que je marche. Je n’ai vu personne depuis que j’ai quitté la ville. Même pas aperçu quelqu’un au loin. Rien. Personne. Je suis totalement isolé. Ce n’est vraiment pas prudent. En préparant mon trek, j’étais convaincu que je croiserais du monde. Des trekkeurs voire des chasseurs. Mais il n’y a absolument personne. Décision est prise de rentrer à Ilulissat. Tranquillement et prudemment. En attendant, je descends un nouveau pierrier pour contourner le lac par sa rive. J’en ai marre de monter et descendre les massifs.

Seulement voilà, alors que je suis à moins d’un kilomètre du coin où j’ai prévu de camper, un obstacle imprévu me laisse dubitatif : une plaque rocheuse, bien lisse, arrive de très (très) haut et descend jusque dans le lac. Et elle ne fait que 3 petits mètres de largeurs à sa base. Elle est inclinée à environ 60°. Aucune prise pour la franchir sans se retrouver dans l’eau. Un vrai toboggan. Deux solutions : contourner cette plaque par le haut. Il faut rebrousser chemin, monter au sommet du massif puis redescendre. Ou bien la contourner par le bas et passer dans l’eau. Résultat : je retire chaussures, chaussettes et pantalon. J’attache le tout au sac. Je prépare ma serviette pour me sécher rapidement en arrivant de l’autre côté. Je chausse mes sandalettes et je me lance. L’eau glacée est d’une clarté parfaite. Je vois très bien où je mets les pieds et je m’aide de mes bâtons pour assurer l’équilibre. Certaines pierres sont quand même plus profondes que je ne l’imaginais. Les fesses touchent la surface de l’eau. Tant pis pour le boxer. Je fais attention à ce que le bas du sac ne trempe pas. Mon sac de couchage se trouve dans le compartiment inférieur. Je finis par sortir de l’eau. J’ai presque chaud maintenant. Je me sèche rapidement, et me rhabille. C’est en grelottant que je continue mon chemin. Pourvu qu’il n’y ait pas d’autre passage comme ça. Une fois réchauffé, cette histoire me fait beaucoup rire. Quel merdier !

Une journée sous la tente

Vendredi 18 août.

La pluie a cessé dans la nuit. Au réveil, un épais brouillard enveloppe le lac et les massifs autour de moi. Il fait froid. 4°C seulement. Le temps que je prenne mon petit déjeuner, la pluie se remet à tomber de plus belle. Je rentre mes vêtements que j’avais mis à sécher dehors pendant que je mangeais. Le pantalon, la veste et les gants sont trempés. Tout le reste est humide et froid. Par chance, mes affaires de nuit sont bien sèches.

Pour l’instant, je ne bouge pas d’ici. Je reste au chaud dans mon sac de couchage. A 10 heures, un bruit étrange frappe ma tente. Je pensais que c’était une corde qui s’était détachée mais en fait, lorsque je mets le nez dehors, je constate qu’il neige à gros flocons. Pourvu que cette neige ne tienne pas au sol. Elle risquerait de masquer les pièges et rendrait mon retour encore plus périlleux. L’été au Groënland !

Une journée au camp. Ou plutôt, une journée dans la tente. Heureusement que la tente Ferrino est assez grande. Je m’y tiens assis sans problème. Tout ce qui est mouillé ou humide est totalement proscrit à l’intérieur. Mon sac de couchage est en duvet. Et un duvet mouillé n’est plus d’aucune efficacité. Ce type de sac de couchage est intéressant pour son poids et son faible encombrement. En revanche il demande une attention toute particulière. Donc les vêtements mouillés sont sous l’abside.

Pour tuer le temps, j’ai apporté avec moi 3 livres. « L’Orangeraie » que j’ai lu durant le voyage (un livre magnifique). « Une jeune homme superflu » que je viens de terminer. Et « Gravé dans le sable » que je vais maintenant commencer. Mon iPhone a toujours de la charge pour écouter de la musique. Je me régale en écoutant le dernier album de London Grammar.

Vers 15 heures, un rayon de soleil éclaire la tente. Je sors la tête et je vois une percée de ciel bleu. Le vent a tourné d’ailleurs. Le soleil chauffe un peu. Branle bat de combat : je sors étaler toutes mes affaires au soleil. Aidé par le petit vent, ça sèche vite. Ménage dans la tente dans laquelle j’ai fait entrer beaucoup de saletés. Réparation d’un petit trou sur la toile du dessus. Mais un nouveau nuage arrive et tombe sur le lac. Petite bruine. Je rentre tout. J’avais tendu un fil à linge entre mes bâtons de marche à l’aide d’une petite cordelette de secours que j’ai toujours avec moi. C’est toujours utile une cordelette !

Sur le chemin du retour

Samedi 19 août.

Levé en sursaut à 3h30 quand j’entends des gouttes d’eau tomber sur ma tente. Hier soir, j’avais laissé mon sac à dos dehors dans l’espoir de le faire sécher durant la nuit. Au coucher, il ne pleuvait plus et le ciel s’était dégagé. Je me lève en vitesse pour le mettre à l’abri. Il est sec. C’est une bonne nouvelle.

Ce matin, le ciel est gris et bas. Je plie le camp en vitesse avant que la pluie n’arrive. Un hélicoptère survole « mon » lac à basse altitude. Je lui fais signe du pouce pour indiquer que tout va bien. Il reprend de l’altitude et continue sa route. Peut-être avait-il repéré ma tente orange et qu’il voulait voir si tout allait bien. En tout cas, maintenant, il y a quelqu’un qui sait que je me promène dans le secteur.

Le soleil fait des apparitions. C’est agréable quand il est là. Je repasse devant la cabane de World Of Greenland. Je m’arrête sur la terrasse pour me faire un café. Cette cabane est posée devant un immense lac. Je me souviens que derrière les massifs, sur la rive opposée, il y a un bout de fjord qui, l’hiver, est envahi par les glaces. De ce que je peux voir d’ici, l’accès semble très compliqué, voire impossible en été. Je ne prendrai pas la peine de tenter. Objectif du jour : regagner le lac où j’ai planté ma tente le premier jour. Celui où j’avais vu les deux oies pour la première fois. Les oies bernaches, j’en ai vu beaucoup d’autres depuis. La météo est changeante. Quand il fait soleil, j’ai chaud et j’enlève ma veste. Quelques minutes après, un gros nuage tombe et je dois me couvrir. Les massifs ne sont pas très hauts, entre 300 et 500 mètres seulement. Mais les nuages s’accrochent aux sommets. D’ailleurs, en fin de matinée, alors que j’arrive à un col, j’ai juste le temps de voir un lac en contrebas qu’un nuage envahi complètement la vallée, empêchant toute visibilité à plus de 20 mètres. Je ne vois plus rien. Je n’ai plus aucun repère. J’ai vu un lac, mais je ne sais pas lequel. Ma carte et ma boussole ne sont d’aucune utilité sans visibilité. Je suis donc contraint de prendre mon mal en patience et d’attendre que le nuage passe. Je dois me couvrir. Il fait froid et quelques gouttes d’eau tombent. J’enfile ma veste chaude Lestra et ma veste imperméable par-dessus. Je m’occupe en faisant quelques selfies. Enfin je peux repartir. J’avance. De col en col. De massif en massif. Le sol est spongieux et glissant. En passant un pierrier, j’ai perdu l’équilibre et, entraîné par mon sac, je suis parti à la renverse. Tout doucement, je me suis retrouvé sur le dos. Coincé entre les rochers. J’ai dû me défaire de mon sac pour me dégager de là. Je m’en sors avec une petite éraflure sur l’avant-bras gauche. Rien de grave.

Je retrouve l’emplacement de mardi pour y planter ma tente de nouveau. Une nouvelle petite réparation sur le sol de ma tente. Je tends le fil à linge et la pluie se met à tomber. Ça faisait longtemps ! Malgré tout, il faut que je me lave. Je pue ! Mais il fait très froid ce soir et je ne fais qu’une toilette de chat. Dans la soirée, au soleil couchant, le vent tombe totalement. Plus un souffle d’air. Le lac est un miroir. La lumière est magnifique. Je fais plein de photos.

Dans cette nature si belle et si sauvage, l’eau est totalement potable. L’eau des lacs est d’une clarté pure. Elle est parfaitement potable. Celle des ruisseaux est parfois légèrement colorée par la tourbe. Malgré cette couleur un peu orangée, elle n’a aucun goût non plus. J’évite cependant les marres avec de l’eau stagnante et trop colorée. Durant tout mon trek, je n’emporte qu’un demi-litre d’eau dans le sac. Parfois même, la bouteille reste vide. J’ai une timbale accrochée à la ceinture. Il me suffit de me baisser pour la remplir.

Les déchets

Je parle de cette nature sauvage. Malheureusement, l’écologie et le civisme ne sont pas encore arrivés au Groënland. Je suis très surpris, voire choqué, de voir tous les déchets abandonnés un peu partout. Les abords des cabanes sont de véritables décharges. Une horreur. Au milieu de nulle part, j’ai pu trouver des cartouches, des cannettes de soda, papiers, bouteilles en verre, bidons en plastique, sacs de nourriture pour les chiens, une cuillère en plastique, paquets de cigarettes… Tout ça doit être abandonné en hiver. La neige recouvre tout. Et comme l’été il n’y a personne pour le voir, alors tout va bien…

Pour ma part, j’ai un petit sac en plastique qui me sert de poubelle. Je fais très attention à ne rien laisser. Même pas le papier toilette que je brûle. En début de séjour, alors que la toundra était très sèche, j’ai failli mettre le feu. Maintenant je fais attention et j’ai toujours de l’eau avec moi quand je fais brûler quelque chose.

Quatrième jour de pluie

Dimanche 20 août.

La pluie a cessé mais le ciel reste menaçant encore aujourd’hui. Je n’ai pas très envie de bouger. Je préfère attendre une belle journée pour rentrer à Ilulissat. Je ne suis plus qu’à une journée de marche. Mes vêtements sont secs. Autant les garder à l’abri. En milieu de matinée, alors que la pluie et une sorte de grésil tombe, j’entends l’hélicoptère qui tourne dans les massifs. Je sors. Il passe devant moi à basse altitude, comme hier. Et comme hier, je lui fais signe du pouce. Il vire, et fait route vers Ilulissat.

La météo a été épouvantable tout l’après-midi. Un vent fort a secoué la tente. Des trombes d’eau sont tombées. J’ai même eu droit à un peu de neige. Impossible de sortir. J’avais pourtant prévu d’aller randonner dans les massifs alentours. Juste derrière ma tente, il y a un sommet d’où l’on a une vue fabuleuse sur Ilulissat, l’embouchure de l’icefjord et la mer jusqu’à l’horizon. A l’aller, je n’ai pas pris le temps d’admirer cette vue. Quelle que soit la météo, je rentre à Ilulissat demain. Je ne peux pas rester une journée de plus enfermé dans ma tente. Même par mauvais temps, s’il persiste, il y aura toujours plus de choses à faire en ville. 4 jours consécutifs de pluie, ça commence à bien faire.

Le retour à Ilulissat

Lundi 21 août.

Les deux premiers mois de l’été sont passés. Ici les jours raccourcissent très visiblement. Malgré tout, et comme pour dire que l’été est toujours là, la météo est bonne. Grand soleil. Un léger vent qui me va bien. Au moins les mouches et les moustiques ne sortiront pas. Les panoramas sont fantastiques. Je marche en suivant les crêtes pour toujours avoir une belle vue. J’ai mis le cap sur Ilulissat que je vois bien depuis les hauteurs. Plus besoin de carte ou de boussole. Cependant, le terrain reste glissant et humide. Je fais attention à ne pas trop mouiller mes chaussures. Depuis un sommet, j’observe la ville et ses maisons colorées, la myriade d’icebergs aux portes de la ville, et aussi ceux qui ont déjà dérivé loin au large. D’ici on dirait que certains sont simplement posés sur la ligne d’horizon. Ils sont partis fondre dans les eaux plus chaudes de l’Atlantique nord. J’en profite pour faire quelques selfies, souvenir de cette balade estivale dans les montagnes groënlandaises.

Cette journée de marche a été longue. La descente du dernier massif était compliquée. J’ai dû trouver les passages entre les ruisseaux, les pierriers et la tourbe. En bas, j’ai eu à traverser cette immense plaine marécageuse. Je n’ai pas réussi à épargner les chaussures. Je me suis enfoncé dans l’eau à plusieurs reprises.

Lorsque j’arrive au campement, je n’arrive plus à soulever les pieds. Je suis épuisé. Mais ça fait du bien de voir des gens. Six jours sans voir personne. C’est long. Je profite du beau temps pour faire sécher ma tente avant de la monter. J’étends mon sac de couchage pour le faire respirer un peu lui aussi. Une fois le camp monté, je me fais un café que je bois en contemplant ma vue. La même qu’en début de séjour lorsque je suis arrivé à Ilulissat. Le gros iceberg que je voyais depuis la porte de ma tente s’est avancé pour se cacher derrière le massif. Je le pensais échoué. Il n’en est rien. Il est bien à flot et il dérive. Aux portes de la ville, la profondeur de l’icefjord est de 400 mètres. Après mon café, je descends au gymnase prendre une bonne douche chaude, me raser et faire un brin de lessive. A l’accueil, les deux jeunes groenlandais ne parlent pas anglais. J’avais commencé à leur expliquer que je suis campeur, et que je suis déjà venu la semaine dernière prendre une douche… bref, ils n’ont retenu que le mot « shower ». Ils m’ont juste dit « oh, shower !», et ils m’ont indiqué l’escalier pour descendre aux vestiaires.

Une journée en ville

Mardi 22 août.

Ce matin, le ciel est magnifique : noir. Un fond noir derrière les blancs icebergs. Très belle lumière. Très beaux contrastes. Je me prépare rapidement, mais le temps que j’arrive au bord de l’icefjord, la lumière a changé. Dommage. Dans la matinée je descends en ville pour prendre des renseignements pour faire une « croisière » jusqu’au glacier Eqi, à 80 km au nord. C’est un glacier spectaculaire qui est une curiosité quasi incontournable quand on est à Ilulissat. Je réserve pour vendredi qui semble être le seul jour de la semaine où il devrait faire beau.

Cet après-midi, je suis allé jusqu’à l’aéroport à pied pour récupérer les affaires que j’avais laissées à la consigne. J’ai besoin de mes lunettes de vue et de charger le téléphone pour écouter de la musique. Je trouve une prise de courant dans le petit hall. Je mange des petits gâteaux en patientant. Plus d’une heure de marche pour y aller et donc, autant pour revenir. C’était une belle balade. Mais samedi, je pense que je prendrai un taxi pour m’y rendre.

Les chiens.

J’en avais déjà parlé dans mon road book de mars 2016. Mais les chiens me posent un problème de conscience. Où disons que le traitement qui leur est réservé me choque. L’hiver, ces chiens sont couverts d’une épaisse fourrure qui les protège du froid. Mais cette fourrure masque leur maigreur. En été, ces « pauvres » bêtes restent au chenil.  Attaché à leur chaîne limitant leurs déplacements, leurs journées doivent être longues. Ils sont couchés sur la terre pour certain, sur du lichen pour les plus chanceux. Ils attendent l’hiver pour pouvoir se dégourdir les pattes. Comme en hiver, leur seul repas de la journée est constitué d’un poisson. A l’approche des chenils, cette odeur de poisson me monte au nez. A l’arrivée du propriétaire, les chiens de mettent à aboyer pour avoir leur part. Et bien sûr, jalouses, les meutes voisines donnent de la voix. Si une chaîne venait à se briser, l’animal serait totalement incontrôlable. J’ai d’ailleurs pu lire, dans différents récits, qu’un chien qui se détache est abattu. Les seuls chiens en liberté sont les chiots qui peuvent déambuler dans les massifs jusqu’à quelques centaines de mètres de leur chenil. Mais ils sont rares à tenter l’aventure. Ils restent généralement près de leur mère. Dès qu’ils seront en âge de travailler, ils seront à leur tour attachés. Fini la liberté.

Un après-midi magique

Mercredi 23 août.

Comme prévu, il pleut au réveil. Mais par intermittence. Ça me permet d’aller faire un tour en ville. Je descends jusque sur le port de pêche. Les bateaux sont aussi colorés que les maisons. En remontant, je m’arrête dans une petite cabane pour y prendre un café. Ce petit bar minuscule a un charme fou. 3 jeunes groënlandaises y préparent des sandwichs à personnaliser soi-même façon Subway. Pour l’heure, je me contente d’un café qui me coûte environ 4,50€ quand même. Tout coûte une fortune ici.

En début d’après-midi, le ciel noir refait son apparition derrière les icebergs. Je passerai des heures à faire des photos. C’est fabuleux. La lumière change en fonction des nuages qui passent. Un rayon de soleil fait briller la glace. Le vent tombe et la surface de l’eau devient un miroir. Tout ce décor est un enchantement. Je ne me lasse pas d’observer et d’admirer ces monstres blancs. Et toujours ses sons. Parfois, j’aperçois une vague ou une ondulation de la surface de l’eau. Ça doit être par là qu’un morceau de glace est tombé. Devant moi, un « petit » iceberg, de la taille d’un camion (en surface) tangue. Un morceau s’en est détaché. Il cherche son équilibre, puis se stabilise. Il replonge dans son sommeil apparent.

Ces bruits de glace sont très particuliers. Mais mon oreille est attirée par un autre son que j’entends à 3 ou 4 reprises. Soudain, juste là, deux baleines remontent pour respirer. Incroyable. Durant de longues minutes, n’en croyant pas mes yeux, je peux les observer. Je vois ces deux cétacés se faufiler entre les glaces. L’une d’elles plonge. J’arrive à photographier sa nageoire caudale. Fabuleux. Elles finissent par passer derrière ce gros iceberg. J’attendrai longtemps mais elles sont parties.

Cet après-midi, j’ai fait plus de 300 photos.

Ilulissat

L’été des travaux

Le Groënland est un caillou. Tout repose sur de la roche. En hiver, tout est recouvert par la neige, mais en été, on constate que le génie civil a de quoi faire. La ville est en travaux. On y construit des maisons et bâtiments industriels ou commerciaux. Mais le plus impressionnant, ce sont les tranchées qui sont creusées pour faire passer des canalisations. Aux quatre coins de la ville, le bord des routes est ouvert. Des engins martèlent la roche pour la briser. Parfois, l’usage d’explosifs est nécessaire. Toute la journée, une sirène retentit. Une explosion suit. Toute la partie câblée (électricité et télécommunications) est en surface.

Les touristes

Beaucoup de touristes à Ilulissat. Hier, 2 paquebots mouillaient au large. Toute la journée, des vagues de croisiéristes ont envahi la ville et le chemin menant à l’icefjord. Tous équipés de leur veste rouge à capuche jaune estampillées « Hurtigruten » du nom de la compagnie, parfois avec le gilet de sauvetage encore autour du cou, viennent voir les icebergs. Ils font des photos, des selfies, dépensent quelques couronnes dans les boutiques de souvenirs, puis repartent.

Toujours des déchets

Globalement, la ville est assez sale. Papiers, bouteilles, déchets en tout genre trainent partout. Pourtant, j’ai pu lire des affiches de la municipalité sensibilisant les habitants. Des poubelles et des cendriers ont été installés un peu partout dans la ville. Les groënlandais fument beaucoup. Mais il y a encore beaucoup de travail à faire. Les habitudes ne se changent pas comme ça. Cet après-midi en rentrant de l’icefjord, j’ai emprunté un massif où les gens aiment venir pique-niquer en famille. Je les ai vues en début de séjour. C’est une véritable poubelle à ciel ouvert. J’y ai vu des déchets éparpillés dans la toundra, au fond des marres, dans les ruisseaux…

Le glacier Eqi

Vendredi 25 août.

Journée à Eqi. Départ du port d’Ilulissat à 9 heures pour un peu plus de 3 heures de navigation. Le bateau se fraie un passage à travers les icebergs dont la taille varie entre celle d’un petit glaçon et celle d’un immeuble. Longue traversée tranquille dans un chenal. Les massifs vus depuis la mer sont beaux. A l’approche du glacier, les icebergs sont de plus en plus nombreux. La lumière est belle. Il fait très beau.

 

En arrivant devant le front du glacier, tout le monde est sur le pont pour voir le paysage et faire des photos. Nous restons environ 2 heures devant Eqi. Notre guide s’amuse à jouer aux devinettes : quelle est la hauteur du front ? Certains avancent 60 mètres ici, 70 mètres par là. Quelqu’un s’enflamme : 100 mètres ! Tout le monde rit. La guide nous annonce 250 mètres. Incroyable. On ne dirait pas. Alors qu’on a presque l’impression de pouvoir toucher la glace, nous sommes en réalité à environ 1 km du pied du glacier. Tout est tellement démesuré, qu’on en perd tous les repères. 250 mètres de hauteur et près de 2,5 km de large. Ce glacier avance et recule de 10 mètres par jour selon la saison. En été, de nombreux blocs de glace se détachent. Le glacier recule. En hiver, la calotte glaciaire s’affaisse sous son poids, façon Flamby, et le glacier avance. Malheureusement, avec le réchauffement climatique, il recule plus qu’il n’avance.

Nous observons justement ces chutes de glace. On a l’impression que les blocs tombent au ralenti. C’est l’effet d’optique provoqué par notre éloignement et la hauteur de la chute. Le son du fracas nous arrive avec une petite seconde de retard. Toujours ce même son sourd. Des gerbes d’eau montent à des dizaines de mètres de hauteur sous l’impact. Nous surveillons attentivement une zone qui semble particulièrement fragile. Plusieurs « petits » blocs se sont déjà détachés sous nos yeux, et un bloc bien plus gros semble désormais suspendu dans le vide. Soudain, il tombe. Bruit énorme. Gerbe d’eau sensationnelle. On voit progressivement arriver une vague qui fait rouler le bateau de bâbord à tribord pendant quelques minutes.

En nous éloignant, j’arrive à faire de très belles photos panoramiques. La surface de l’eau est parfaitement étale. Une mer d’huile dans laquelle les massifs et le glacier se reflètent. Images magnifiques.

C’est effectivement un bel endroit à voir. C’est incroyablement beau. La croisière vaut le coup également. C’était une magnifique journée. La dernière.

Jour du départ

Samedi 26 août.

C’est donc la fin de ce troisième voyage à Ilulissat. Pour terminer, je me suis fait chaparder mon petit thermomètre jaune ce matin. J’aimais bien ce petit appareil électronique qui faisait aussi anémomètre. Ce matin au réveil, je trouvais qu’il faisait froid. Probablement plus froid que les jours précédents. Sans mettre le nez dehors, j’entrouvre la porte de la tente, et je jette le thermomètre dehors. Je regarderai la température lorsque je me lèverai. Sauf que, lorsque je suis sorti, le thermomètre avait disparu. Sur les massifs, à quelques dizaines de mètres de là, j’ai vu un chiot se promener. Rien ni personne d’autre autour. Le bougre est venu me chiper mon thermomètre. J’ai cherché un peu dans les massifs pour voir où il avait bien pu l’abandonner, mais rien. Je suis sûr qu’il ne saura même pas s’en servir ce con de chien !

Petit déjeuner. Toilette. Démontage du camp. Chargement du sac. Taxi. Me voilà à l’aéroport pour deux jours de voyage vers la maison. Le grand confort m’attend, et j’avoue qu’il m’a manqué un peu…

Epilogue

Le Groënland reste une destination polaire incroyable. Des espaces immenses. Sauvages. Désertiques. J’aurai passé 6 jours sans voir personne. A part quelques oies bernaches, 2 lagopèdes, des grands corbeaux, des jaseurs boréals et des milliards d’insectes, je n’ai rien vu d’autre. En été, j’ai pu constater que les massifs sont difficilement praticables. Les inuits ne sont pas équipés de quad. Pour quitter la ville, ils passent par la mer.

Le Groënland se vit l’hiver. Incontestablement. Difficile de dire si j’ai préféré les paysages cet été ou ceux que j’ai pu voir en hiver. C’est tellement différent. L’icefjord est encore plus impressionnant à cette période. Incroyable de voir ces géants de glace dériver très loin à l’horizon. Les massifs quant à eux révèlent leurs secrets. Les lacs, les ruisseaux, les pierriers…

La météo n’a pas toujours été bonne durant ces deux semaines, mais c’est souvent comme ça dans ces régions nordiques. Je garde un merveilleux souvenir de ce voyage. Le Groënland est vraiment très attirant. J’y retournerai. Un jour.