Arctic Circle Trail
Avant de partir
L’Arctic Circle Trail est un trek assez réputé chez les grands randonneurs. Des petits guides sont publiés dans de nombreuses langues et détaillent les étapes des 160 km du parcours de Kangerlussuaq à Sisimiut. Ces deux villes sont situées sur le cercle polaire. Kangerlussuaq est une ancienne base militaire américaine créée durant la guerre froide. Lorsqu’ils ont quitté le Groënland, les Etats-Unis ont vendu la base pour un dollar symbolique Groënland, laissant derrière eux quelques bâtiments et surtout une piste d’atterrissage de plus de 3 km de long. De quoi faire atterrir un gros avion. C’est la plus longue piste du pays. Des longs et moyens courriers arrivent et partent quotidiennement ici. Puis des petits avions à hélices font la connexion avec Nuuk, la capitale, Aassiaat, Ilulissat… et Sisimiut à 35 minutes de vol seulement.
Sisimiut est une ville portuaire. Seconde ville la plus peuplée du Groënland avec ses 5.500 habitants, derrière Nuuk (17.600 habitants). Cela représente tout de même 10% de la population totale du pays ! Rien de très intéressant à voir ou à faire à Sisimiut en fin de trek. Je l’avais constaté en mars 2019 lorsque j’avais fait l’Arctic Circle Trail pour la première fois. Donc, contrairement à la plupart des autres trekkeurs, cette année je fais le parcours à contresens, de Sisimiut à Kangerlussuaq pour ensuite continuer quelques kilomètres vers la calotte glaciaire. Ce sera mon objectif et la récompense de cette aventure.
Mon dernier trek en Laponie l’été dernier n’a pas été une sinécure. La météo n’a pas été bonne mais surtout, un sac à dos qui était un fardeau et des apports en calories insuffisants. Au bout de 5 jours, je n’avais plus d’énergie. Donc cette année, je mets toutes les chances de mon côté pour faire un beau trek. Tout d’abord, il y a des cabanes et des refuges tout au long du parcours si je dois m’arrêter pour faire sécher mes affaires ou me reposer. Ensuite, j’investis dans un bon sac à dos Osprey Aether Plus 85. Enfin, les repas. Je prévois 3 vrais repas par jour : un petit déjeuner musli/lait en poudre à réhydrater et un jus de fruits lyophilisé. Un plat lyophilisé pour le midi, un autre plat le soir ainsi qu’un dessert. Soit un total d’environ 2.500 kcal par jour. Et je prévois 12 jours d’autonomie dans mon sac. Tous ces repas prennent de la place et pèsent lourd. Le premier jour, mon sac pèse un peu plus de 21 kg. Il s’allègera donc au fur et à mesure que je consommerai mes repas.
29 juillet – Arrivée à Sisimiut
Voilà la 6ème fois que je pose le pied au Groënland. Le voyage depuis Marseille s’est déroulé sans problème. Mon bagage m’a suivi d’escale en escale. Marseille, Bruxelles, Copenhague, Kangerlussuaq et enfin Sisimiut.
En arrivant ici, dans le minuscule aéroport de Sisimiut, je prends un taxi qui me dépose à mon hôtel. Ma mission maintenant : trouver du gaz pour mon réchaud. J’ai vu qu’il y avait des bouteilles Campingaz dans la petite boutique de l’aéroport de Kangerlussuaq, mais comme j’avais encore un vol, je ne voulais pas prendre le risque d’en acheter là-bas, quand bien même il n’y a pas de contrôle des bagages sur les vols intérieurs ici. Ce qui m’inquiète, c’est que j’ai prévu mon réchaud Primus, pensant trouver plus facilement des bouteilles de cette marque scandinave plutôt que Campingaz. Bon, mon réchaud est compatible avec les bouteilles bleues.
A Sisimiut, je commence par le supermarché Pisifik. Rien. Puis je vais à Brugseneeraq et Brugseni, deux autres supermarchés, puis une boutique de sport… Rien. Pas de gaz. La jeune vendeuse de la boutique d’équipement sportif m’envoie d’abord vers le supermarché d’où j’arrive. Elle me conseille alors un magasin de bricolage à la sortie de la ville. J’y vais. Ils n’ont plus de gaz. Du coup, ils m’envoient vers le port, derrière mon hôtel. Je traverse donc la ville dans l’autre sens. En cours de route, je demande conseil à quelqu’un. « Allez voir à la boutique Sisimiut Outdoor ! ». C’est le bâtiment bleu dans la descente juste à côté de mon hôtel. Effectivement, c’est une boutique pour tout ce qui touche les activités de plein air (rando, chasse, pêche). Et il y a du gaz. Différentes sortes de bouteilles et différentes marques. Il y a bien du Primus, mais non compatible avec mon réchaud. Peu importe, il y a des bouteilles Campingaz. Ça, c’est fait. Il m’aura quand même fallu 1h30 pour trouver.
Mon sac est donc complet et prêt pour demain. Pour le moment la météo n’est pas terrible. Il fait gris. Il tombe quelques gouttes de pluies. 7°C.
Samedi 30 juillet – Jour 1
Départ de Sisimiut sous une pluie fine. J’ai enfilé ma tenue de pluie. Veste et surpantalon imperméables. Il me faut une heure pour sortir complètement de la ville. Mon hôtel était près du port. Après les habitations, il faut traverser « Dog Town ». Cette immense zone où vivent les chiens de traineau.
D’après ma carte, il suffit de suivre la route goudronnée jusqu’au bout. La piste de l’Arctic Circle Trail commence là. Mais ma carte commence à dater et je ne fais pas attention que la route goudronnée a été refaite et déviée. C’est une dame qui fait son jogging qui me croise et m’interpelle. « Si tu comptes aller à Kangerlussuaq, tu n’es pas au bon endroit ». Elle me remet sur la bonne voie. Elle fait quelques pas avec moi, le temps de m’expliquer qu’elle s’entraine pour des semi-marathons. Elle a déjà fait New-York, Londres, Rome… Il y a donc des inuits qui font ces épreuves. Excellent !
Le reste de la journée se passe sans encombre. Un relief moins dur que je le prévoyais. J’ai croisé 3 trekkeurs en chemin. Puis, pendant que je prenais des photos alors que je soleil commençait à percer, un couple d’inuits de Sisimiut rentrait de Kangerlussuaq par le trek. C’est la première fois qu’ils faisaient le parcours en été. L’homme était chargé de bois de renne. Ils m’ont dit avoir vu de nombreux rennes dans le secteur. Quant aux bœufs musqués, ils sont plus près de Kangerlussuaq. Il faudra encore attendre quelques jours pour espérer en voir. Les moustiques ont été pénibles mais j’avance face au petit vent. Mais dès que je m’arrête, c’est l’horreur. Il faut enfiler la moustiquaire de tête.
Cette première étape marque également le passage du premier gué à franchir où j’ai été obligé de déchausser. J’avais eu horreur de ces épreuves en Laponie l’an passé. Ça commence !
Ce soir, je campe près d’un lac, en fond de vallée. Un endroit superbe.
Pour préparer mon dîner, je décide de profiter du beau temps et du petit vent qui chasse un peu les insectes pour manger dehors. Ce que je n’avais pas prévu, c’est que mon réchaud me consommerait une partie importante de ma réserve de gaz. C’est après avoir fait bouillir un demi-litre d’eau que je réalise que je vais avoir un sérieux problème. J’ai l’impression que ma bouteille de gaz est déjà à moitié vide alors que c’est la première fois que je me sers de mon réchaud durant ce trek. C’est un peu une catastrophe. Pourtant, je renonce à faire demi-tour. Je vais de l’avant. Tant pis si je dois manger froid pour le reste du trek. Ça va se transformer en Koh Lanta cette histoire, mais j’avance. Ça doit être la tuile de ce trek. Il m’en arrive toujours une à un moment ou un autre…
- Distance du jour : 14 km.
- Déjeuner : poulet fajita, riz.
- Dîner : sauté de champignons aux pâtes, crème dessert au chocolat.
Dimanche 31 juillet – Jour 2
Longue nuit. Couché à 20h, levé à 7h. Mais je suis réveillé depuis 2h du matin. Ici à cette période de l’année, il fait jour en permanence. Le soleil se couche vers 23h et se lève à 3h. Donc la nuit n’a pas le temps d’arriver. Ajoutez à ça le décalage horaire de 4 heures, et me voilà bien en peine pour trouver le sommeil. Donc au petit matin, je me force à rester dans mon sac de couchage.
Départ du camp à 8h30. Malgré les nuages du matin, c’est bien le soleil qui aura dominé toute la journée. J’ai relevé 22°C dans la journée. Ces maudits moustiques m’ont empêché de me mettre en short. Je profite d’un changement de direction en cours de journée qui fait que j’ai maintenant le vent de travers. Ça chasse un peu les insectes. J’arrive à mettre un t-shirt avec du produit anti-moustiques sur les bras. Ce matin, j’ai croisé une dizaine de personnes.
La première partie de journée a été fatigante. Ça monte, ça descend. Le terrain n’est pas facile avec des marécages, de la tourbe, puis des buissons et de la boue. En seconde partie, le terrain devient plat. Même si c’est toujours aussi gras, j’avance bien. Ce terrain n’est pas vraiment propice au campement. Il faut dire que je suis difficile quant au choix de l’emplacement. Il me faut un endroit plat, avec un point d’eau, et une belle vue ! Je pose finalement mon sac à 16h30. Je suis crevé. Je campe au bord d’une rivière que j’ai dû traverser les pieds dans l’eau. Au moins, j’ai les pieds frais pour monter la tente.
Je profite de la rivière pour faire une bonne toilette glacée mais revigorante. Au programme de la soirée : lecture, musique (la 9ème symphonie du Nouveau Monde de Dvorak). Dodo à 22h.
- Distance du jour : 15 km.
- Déjeuner : lentilles jambon (froid pour économiser le gaz).
- Dîner : bœuf Stroganov, riz. Crème chocolat.
Soyons clairs, réhydrater un plat à l’eau froide, ça ne marche pas. Donc ça croustille sous la dent et ce n’est pas bon…
Lundi 1er août – Jour 3
La question du décalage horaire est réglée. Levé à 7h. Mise en route à 8h45.
Avant cela, pendant que je fais ma toilette au bord de l’eau, je vois deux randonneurs très matinaux étudier le passage de la rivière. Finalement, ils déchaussent. Comme moi, ils passent beaucoup de temps dans l’opération. Poser le sac, enlever chaussures, chaussettes, bandage (je porte une bande de protection à une cheville), sortir les sandalettes et la serviette de toilette. Attacher les chaussures l’une à l’autre par les lacets et les passer autour du cou, relever les jambes du pantalon. Porter le sac à dos et traverser sans glisser sur les pierres ou se faire déporter par le courant. Puis de l’autre côté, il faut tout refaire à l’envers. Poser le sac. Enlever les sandalettes, sécher les pieds, mettre les chaussettes et chaussures, ranger serviette et sandalettes et repartir. Comptez 15 à 20 min et de nombreuses piqûres de moustiques aux chevilles et aux jambes.
Ce matin, le terrain est plat mais il traverse des marécages et des zones de végétation assez dense. Des buissons parfois plus hauts que moi dans lesquels il faut se frayer un chemin. Mon pantalon de randonnée FjellRaven est vraiment excellent. Je l’ai depuis des années maintenant. Pas une déchirure ni un trou. Avec ce que je lui fais subir d’aventure en aventure, il est toujours intact. Ce n’est pas pour rien que la plupart des trekkeurs que je croise ici comme en Laponie sont équipés de cette marque-là.
Je perds parfois la trace du sentier en sortant d’une zone humide. Il n’y a pas toujours de cairn de l’autre côté. Il faut donc chercher la bonne voie. En fin de matinée, j’arrive à la cabane que j’avais détestée en 2019. Elle est située dans une vallée étroite où le soleil n’entre que peu de temps dans la journée. Elle est toute petite. En hiver 2019, elle était glaciale et le réservoir du poêle à pétrole me semblait pratiquement vide. J’avais préféré garder les quelques gouttes restantes pour me chauffer lors du petit déjeuner du lendemain. J’avais eu très froid ce soir-là. L’ambiance en été est totalement différente. Le soleil est là et la végétation alentour donne à cette cabane un air beaucoup plus accueillant. Je dois faire un petit détour pour y accéder. Elle est située en surplomb d’une rivière et je suis du mauvais côté. Je trouve un endroit pour traverser la rivière les pieds au sec. Il y a un endroit où des pierres émergées me permettent de passer sans déchausser. Il est midi. En traversant la rivière, je vois deux randonneurs quitter les lieux en direction opposée. J’ai déjà remarqué que beaucoup de gens commencent à marcher en fin de matinée. Du coup, j’arrive à la cabane à midi. Plus personne. Je vais déjeuner à l’intérieur, à l’abri des moustiques.
Le poêle a été changé depuis mon dernier passage. Ce n’est pas spécialement propre à l’intérieur. Des bouteilles de gaz sont posées sur la petite table contre le mur. Par curiosité, je soupèse chacune d’elles. Il y a une bouteille bleue Campingaz. La même que la mienne. Si toutes les autres bouteilles sont vides ou presque, celle-ci est… pleine. Oui c’est bien ça. Elle est pleine. Il me faut un petit temps pour réaliser. Je sors ma bouteille de mon sac. Je soupèse les deux. La mienne est moins lourde. Celle que je viens de trouver ici est neuve. Comment est-ce possible ? Un oubli d’un randonneur ? Un problème avec son réchaud ? Un surplus encombrant ? Toujours est-il que cette découverte vient de sauver mes repas pour le reste de mon trek. Je l’embarque donc avec moi. Finalement, cette cabane, je l’ai détestée en hiver et maintenant je l’adore ! Si un jour je repasse par-là, j’aurai de grands souvenirs. Je suis super content !
Mais l’après-midi aura été compliqué. Une douleur au niveau du col du fémur gauche me gêne beaucoup, particulièrement dans les montées, lorsque je dois forcer sur la jambe. Et le relief de cette étape est vraiment accidenté. Toutefois, je suis récompensé par un paysage magnifique. La vallée que je quitte et où se trouve cette petite cabane est vraiment belle. C’est la bonne saison, la bonne météo et la bonne heure. C’est beau. C’est extrêmement vert. La piste est légèrement en hauteur. La plupart du temps sur la rive droite de la rivière. Toujours cette végétation très rase ou des petits buissons. J’ai vu mon premier renne de l’aventure. Un renne isolé. Je commence à voir quelques traces de pas et des déjections sur le chemin.
Ce soir, je campe près d’un lac. Paysage magnifique. Mais des gros nuages arrivent. Je pense que la pluie arrive aussi. Le vent s’est levé. Les moustiques sont couchés. Il fait 12°C. Je suis tout de même allé prendre une douche au lac. La vache ce que l’eau est froide ! Mais je me sens bien plus propre et plus à l’aise dans mes vêtements de nuit.
- Distance du jour : 14 km.
- Déjeuner : Poulet aux petits légumes.
- Dîner : Pâtes à la carbonara. Compote banane/pomme.
Mardi 2 août – Jour 4
Comme chaque matin au réveil, ma première préoccupation est la météo. Elle m’indique comment va se passer la journée et comment je dois m’organiser. Et finalement, il n’aura pas plu cette nuit. A peine quelques gouttes au réveil. J’ai bien dormi, mais je suis encore réveillé tôt. Départ à 8h15. Je m’arrête au bout de 20 minutes seulement car je croise la route d’une petite famille de lagopèdes qui marche sur la piste. La maman se met en protection de sa ribambelle de rejetons qui, ne sachant pas encore voler, pressent le pas pour se mettre à l’abri de ce grand bipède ! J’en profite pour prendre quelques photos et les laissent tranquilles. Un peu plus tard, c’est un renne qui m’observe. Il m’a vu le premier. Lui aussi fuit rapidement et disparaît derrière un col. J’aurai l’occasion d’en apercevoir plusieurs au cours de la journée. Ici, ce sont des rennes sauvages. A la différence de la Laponie où les rennes appartiennent à des éleveurs.
Je passe un col. Comme toujours, c’est la surprise. Je quitte une vallée bordée de hauts massifs pour arriver sur un lac avec une île au milieu. Il y a en arrière-plan une immense montagne. C’est splendide. Je consulte ma carte pour voir où j’en suis. Je fais toujours très attention lorsque j’utilise ma boussole. Je l’avais déjà écrit dans mes précédents roadbooks sur le Groënland, mais il faut différencier le pôle nord géographique, l’axe de rotation de la terre, du pôle nord magnétique qui attire l’aiguille des boussoles. Et les deux pôles ne sont pas au même endroit. En France, ils sont presque alignés donc sans grande conséquence. En revanche, au Groënland, un écart de 35° les séparent. Il faut donc positionner l’aiguille de la boussole non pas vers le haut de la carte mais 35° vers la gauche (l’ouest donc). Un cadrillage spécifique aide à se positionner correctement. Encore faut-il y penser.
Ce lac est celui au bord duquel se trouve la cabane où je prévois de m’arrêter aujourd’hui. Et en regardant bien, je l’aperçois à l’opposé de ma position. Il me faut encore contourner cet immense lac.
Juste avant d’arriver, il faut traverser une rivière dans laquelle déborde le lac. C’est assez large avec un peu de courant. Il faut déchausser. Je ne vois personne autour de la cabane en surplomb.
Effectivement, la cabane est vide. A l’intérieur, un coin cuisine sans eau mais juste un évier qui s’écoule directement à l’extérieur. Des bidons transparents permettent de remonter et stocker l’eau du lac pour la cuisine. Un petit coin en inox pour poser le réchaud. Dans un autre coin, 2 banquettes qui peuvent servir de lit et une table basse. Un coin repas avec une table et des bancs. Enfin, une pièce à part qui est le dortoir composé de 10 couchages superposés. Je fais un brin de ménage. Balais, un coup d’éponge sur les tables. Globalement, c’est assez propre.
Après déjeuner, je descends au lac pour faire un peu de lessive. Mes vêtements commencent à sentir fort. Le ciel est nuageux mais il y a de beaux passages ensoleillés. Mon linge sèchera vite.
Dans la soirée, il y a des randonneurs qui arrivent. Tant et si bien que le refuge sera quasiment complet. Nous serons 9.
Il y a deux allemands pas très bavards qui se sont réfugiés dans le dortoir dès leur arrivée et qui ne viennent même pas se présenter. Curieux. Il y a 5 danois et une jeune inuit qui fait le trek avec deux chiens groënlandais, très massifs, qui portent chacun leurs sacs à dos énormes. Ils sont bâtés comme les ânes. Un gros sac de chaque côté du flan. Cette fille fait le trek chaque année. J’observe l’organisation de chacun et c’est amusant de voir les différences entre ceux qui choisissent le confort et ceux qui, comme moi, optimisent le chargement pour limiter le poids du sac. En tout cas, tout le monde est au régime des repas lyophilisés. Je suis à la table avec deux autres personnes qui s’étonnent de voir que je sors un second sachet pour mon dîner. Et oui, j’ai un dessert. Donc je les amuse en leur rappelant que je suis français. Tout le monde explose de rire « ah ces français et les bons repas ! ». La différence d’organisation vient surtout du matériel. Nous sommes deux ou trois à avoir un mini-réchaud. Léger et peu encombrant. Mais efficace. D’autres sortent tout un attirail. Pratiquement une cuisine toute équipée. Gros réchaud à gaz avec un flexible pour le connecter à la bouteille à côté. Une casserole, une bouilloire ! Une fois plié, ça prend peu de place car tout s’emboîte. Mais ça doit faire du poids ! Un père et son fils sont en train de rire en voyant que leur bouteille de gaz arrive sur sa fin alors qu’il leur reste encore quelques jours de marche. Le gaz, c’est le nerf de la guerre ici aussi. D’ailleurs, mon réchaud fonctionne très bien. Je ne l’utilise plus en plein vent, mais uniquement dans la tente ou dans la cabane. Il me faut 4 minutes pour faire bouillir 250 ml d’eau. C’est la quantité d’eau que je fais bouillir le matin. Je la mets dans une petite bouteille thermos de la même contenance. Ça me sert à réhydrater mon repas de midi. Ainsi, je n’ai pas à sortir le réchaud et la popote à la pause déjeuner. Il me faut environ 500 ml le soir. Les repas du soir sont plus conséquents. Quant aux deux allemands, ils sont toujours dans la chambre. Ils déballent leurs sacs. Puis remballent. L’un d’eux est venu voir les réservent de nourriture laissées par d’autres randonneurs. Un sachet de pâtes, des céréales, du lait en poudre, et deux sachets au contenu indéfinissable…
Ce soir il fait froid. Un coup de vent dans l’après-midi a fait chuter la température. D’après les prévisions météo qu’un gars a reçu tout à l’heure sur son téléphone satellite, il devrait pleuvoir jeudi et vendredi. Mais je sais maintenant d’expérience que les prévisions ne valent pas grand-chose ici. Plusieurs personnes préparent leur étape du lendemain via leur smartphone. Ils utilisent le GPS. Du coup, ils sont équipés de panneaux solaires pour recharger les appareils. Encore du poids en plus dans le sac et le risque de panne de toute cette technologie. En plus, je vois que les cartes numériques ne sont pas aussi précises que ma carte papier. Quant à la visibilité, elle est quand même très limitée. La taille d’un écran ne permet pas d’avoir une vue d’ensemble. Je préfère largement voyager en mode « low tech » plutôt que « hight tech ». Au moins mes cartes et boussoles sont fiables et pratiques.
- Distance du jour : 8 km
- Déjeuner : pâtes aux bolets et à la crème.
- Dîner : je ne sais plus.
Mercredi 3 août – Jour 5
Bon anniversaire Guillaume !
Pas trop mal dormi dans ce refuge malgré le monde. Le soleil dans les yeux depuis un moment déjà finit par me sortir du sac de couchage dès 6h. Je me prépare en silence, en même temps que les deux allemands. Départ à 7h15. En même temps qu’eux. Et sans échanger un mot. Nous prenons la même direction. Ils sont un peu derrière moi. Il fait soleil aujourd’hui. Une nouvelle belle journée s’annonce. Petit vent de face parfait pour chasser les mouches et moustiques.
Ces deux gars qui me suivent m’intriguent vraiment. L’un ressemble à un viking. Grand et costaud. Cheveux très courts avec une tresse sur le dessus de la tête. Une grosse barbe. Le second, plus petit, très réservé. Il ne sait pas quoi faire de son corps. Il se dandine d’un pied sur l’autre se tenant toujours de guingois. Il semble toujours attendre l’autorisation de son collègue pour bouger.
Moins d’une heure après mon départ, j’entre dans une immense zone marécageuse. La piste a disparu. Il faut passer entre le pied d’un massif et un lac. Mais où passer ? C’est gorgé d’eau. J’essaie de passer au plus près du massif, qui me semble moins humide. Les allemands me suivent cent mètres derrière. Je m’arrête pour consulter ma carte et ma boussole pour voir quelle direction prendre. La piste semble se trouver au bord du lac. Mais la zone est pleine de linaigrette. Cette petite plante qui ressemble à du coton mais qui pousse les pieds dans l’eau. Quand il y a de la linaigrette, il y a de l’eau. Donc j’évite le secteur. Je continue à chercher un endroit pour couper et obliquer vers la gauche, donc vers le lac. Pas simple. Les allemands ont compris également. Ils coupent le marécage quand même. Finalement, nos chemins se croisent. Toujours aucune trace de la piste. J’engage la conversation. Seul le grand parle. L’autre reste en retrait. Le gars est perdu. Lui aussi n’a pour se repérer que le GPS de son téléphone portable. Et l’écran est trop petit pour avoir une vue d’ensemble du secteur et voir le cap à prendre. Je lui explique comment je vois les choses : longer le lac jusqu’à une pointe rocheuse, puis remonter vers le massif. Massif que nous longerons pour le contourner un peu plus loin. Le gars me dit qu’ils ont prévu de faire trente kilomètres aujourd’hui. C’est une course contre la faim qu’ils ont engagée. Ils sont partis avec quatre jours de nourriture seulement. L’Arctic Circle Trail est prévu pour se faire en 9 jours. Certains le font en 8 jours (mais profitent-ils vraiment du paysage ?). En tout cas, j’ai l’explication sur leur comportement au refuge. Bon courage à eux ! Ils devront s’arrêter dans chaque cabane pour glaner les restes abandonnés par les autres randonneurs.
Pendant quelques heures, je marche cent mètres devant eux avant que je fasse une pause. Ils me dépassent alors. Puis c’est à leur tour de s’arrêter. Et ainsi de suite. Mais à un moment, je les perds de vue. Ils sont derrière moi, mais je ne les vois plus. Impossible qu’ils m’aient dépassé sans que je le voie. Où sont-ils passés ? Ont-ils finalement décidé de faire demi-tour pour rentrer à Sisimiut ? Nous sommes encore plus près du départ que de l’arrivée.
Les paysages que je traverse sont splendides. La première partie de la journée se fait en fond de vallée, près des lacs. Les immenses massifs nous dominent avec leurs parois raides et sombres. Un monde très minéral. De l’eau ruisselle le long de ces murs de roche pour atteindre les vallées et remplir lacs et marais. La seconde moitié que j’entame après le déjeuner est tracée en noir sur ma carte. Passage difficile donc. Je me souviens très bien de ce tronçon que j’avais parcouru en 2019. Il faut monter haut, sur une crète, puis redescendre bas. C’est donc un massif assez haut qu’il faut passer. Et ça commence par une bonne grimpette. Je m’arrête à chaque cairn marquant le passage d’un col. Les points de vue sont incroyables. C’est un paysage de dingue. Un moment, je pose le sac et je m’assoie sur un rocher. Je contemple. Voilà pourquoi j’ai prévu 12 jours de nourriture sur ce trek. Il faut prendre le temps. Contempler. Observer. Prendre des photos. D’autant que la météo est vraiment bonne. Du soleil et du ciel bleu. La lumière et les couleurs sont fantastiques. Je ne pouvais espérer mieux. Parfois, le paysage me fait penser à un immense terrain de golf. Il y a des zones où la végétation rase est d’un vert très clair. Comme un green. Puis plus loin, une zone plus foncée. Cet après-midi, mes pauses sont fréquentes. C’est un secteur vraiment superbe. Probablement le plus beau du trek. Alors je profite. Il me faut trouver un endroit où camper dans ce secteur. Mais je suis maintenant sur la crète. Il y a peu de végétation et peu d’eau. Je dois donc continuer à marcher. Beaucoup plus que ce que j’avais prévu. Mais je suis bien. En forme. Je finis par trouver un lac et une zone où camper. L’eau du lac est claire mais un peu colorée. Elle n’a cependant aucun mauvais gout. L’eau se teinte parfois lorsqu’elle traverse la tourbe. J’avais connu ça dans le Connemara en Irlande. Ce n’est pas gênant. L’eau est parfaitement potable.
A peine mon camp était monté et mes affaires organisées à l’intérieur de la tente, que le vent se renforce un peu et tourne. Je dois donc faire pivoter ma tente de 90°. L’opération n’est pas simple, mais c’est fait. Ma tente est toujours organisée de la même manière, été comme hiver. A mes pieds, d’un côté la nourriture, popote et réchaud. De l’autre côté la trousse à pharmacie et trousse de toilette. Au niveau de ma tête, les vêtements à droite et la sacoche avec appareil photo, téléphone satellite, iPhone (pour écouter de la musique avant de m’endormir), livre, cahier et cartes à ma gauche. C’est une habitude. Ainsi, je sais où sont mes affaires.
- Distance du jour : 16 km.
- Déjeuner : poulet sauce aigre-douce, riz.
- Dîner : bœuf Stroganov, riz. Crème chocolat.
Jeudi 4 août – Jour 6
Il pleut. Pas beaucoup, mais il pleut. Je lève le camp de bonne heure. 8h45. J’ai été obligé de charger mon sac à dos avant de plier la tente. D’habitude, je sors toutes mes affaires de la tente. Nourriture, vêtements, appareil photo, popotte, etc… puis je plie la tente et enfin je charge le sac. La tente est l’élément le plus encombrant et le plus lourd de mon bagage (1.8 kg). Je dois donc la mettre en premier dans le sac, au plus près de mon dos pour que le centre de gravité du sac soit près de moi. Mais aujourd’hui, pour protéger mes affaires de la pluie, je décide de charger le sac à l’intérieur de la tente, au sec, puis de fixer la tente à l’extérieur du sac, avec des sangles prévues à cet effet. Mais dès que je monte le sac sur mon dos, je sais que ça ne va pas le faire. Le centre de gravité est loin et je suis tiré en arrière. Mes épaules font souffrir. Quinze minutes après être parti, la pluie cesse. Vite, je déballe tout et refais le chargement. C’est nettement mieux. Au passage, j’entame la seconde carte du trek. Il en faut trois pour couvrir les 160 km entre Sisimiut et Kangerlussuaq.
La descente du massif dans lequel j’ai dormi a été rapide. Une pente assez raide. En moins d’une heure, j’arrive à la cabane qui m’avait beaucoup plu en 2019. J’y étais resté 24 heures tellement le paysage était beau. Mais aujourd’hui, il pleut. La vue est bouchée par une brume. Je m’arrête faire une petite pause et je retrouve les deux allemands à l’intérieur. Ils m’ont dépassé alors que j’avais déjà monté mon camp puisqu’ils m’ont dit l’avoir vu au bord du lac. Ils étaient très en retard sur moi et ils n’auront pas fait les 30 km prévus. Je ne traine pas. Je me remets en route pour une étape beaucoup plus compliquée que prévu. La pire du trek. A partir de cette cabane, je suis en fond de vallée. Le terrain est épouvantable. Une grande zone humide avec des buissons et de la boue. J’avance bien, mais ça demande beaucoup d’énergie. Il faut regarder où je mets les pieds et chercher le chemin en permanence. Je croise un groupe d’une dizaine de randonneurs. Un voyage organisé. Il y a deux françaises. Nous échangeons deux minutes sur les itinéraires. Je leur demande si le pont qui est indiqué sur ma carte et qui permet de franchir une rivière est encore loin. « Quel pont ? ». Aïe. Ma carte n’est plus à jour. Leur guide m’explique que ce pont n’existe plus depuis longtemps. Ils ont dû traverser en petite culotte parce que le niveau de l’eau est trop important. Ils avaient de l’eau au-dessus du genou. En effet, lorsque j’arrive sur la zone, je découvre une rivière qui n’est pas très large, mais elle est profonde et surtout, il y a du courant. Je trouve l’endroit le plus adapté pour traverser. Je retire les chaussures et enfile les sandalettes. Mais j’opte pour remonter mon pantalon et mon surpantalon imperméable au maximum. Ça touchera quand même un peu l’eau, mais sans gravité.
Une fois cette plaine passée, une autre épreuve m’attend : une grosse ascension. C’est interminable. En hiver 2019, le parcours contournait ce massif pour passer sur la rivière et un immense lac gelés. C’était plus long, mais plat. Donc j’attaque une partie que je ne connais pas du tout. Il ne pleut pratiquement plus. Juste quelques gouttes de temps en temps. Mais le ciel est bas. Derrière moi, la plaine vue d’en haut est belle. La grimpette est dure. J’avance lentement. Mon étape du jour doit me faire passer devant une cabane. J’ai prévu de camper 3 km plus loin. Mais je ne trouve pas cette cabane. Tant et si bien que je finis par me convaincre que je l’ai passée sans la voir. Elle devait se trouver cachée derrière une butte et elle a dû passer dans mon dos. Je cherche donc le lac au bord duquel j’ai prévu de faire étape. Mais je n’arrive pas à me localiser sur la carte. Je manque de points de repère ici. Vers 15h30, au passage d’un petit col, je vois la cabane devant moi. A un kilomètre. Devant moi ! J’ai vraiment eu beaucoup de mal à avancer aujourd’hui. Cette montée m’a mis en retard sur mon étape. C’est une toute petite cabane. Six couchages au maximum. Il y a déjà trois personnes à l’intérieur. Un couple danois et une jeune néerlandaise. Des vêtements pendent au plafond. Je vais rester ici cette nuit. J’ai un peu de mal à trouver une place pour mon sac. Nous nous organisons. Avant de retirer mes chaussures, je descends au lac avec un bidon de dix litres pour remonter de l’eau. Une allemande nous rejoint un peu plus tard. Ils seront nombreux à frapper à la porte pour trouver refuge, mais à cinq, c’est complet. Les autres monteront les tentes. La soirée est très sympa. Nous discutons de tout et de rien. Mais surtout de voyage.
- Distance du jour : 12 km.
- Déjeuner : je ne sais plus…
- Dîner : pâtes au pesto et saumon. Compote de pomme.
Vendredi 5 août – Jour 7
Quelle mauvaise nuit ! La promiscuité, le mal au dos, et surtout la peur de tomber de mon étroite couchette en hauteur. Ajoutez à cela la pluie et le vent. Je me lève à 6h. Hier soir, le danois avait prédit un beau soleil pour 8h. « Il est encore trop tôt. J’ai dit 8h ! ». Nous nous en amusons.
Mais à 8h, au moment du départ, il pleut toujours. Cette météo gâche le paysage. C’est joli mais ça ne donne pas envie de s’arrêter en dehors des pauses que je fais toutes les heures. C’est mon rythme. Je marche entre 45 minutes et une heure et je m’arrête 5 à 10 minutes. La piste est bonne mais forcément très humide. En fin de matinée, j’attaque la descente du massif. J’ai prévu de faire une étape assez courte aujourd’hui. Une zone de campement est indiquée sur la carte. Ce qui veut dire que le secteur doit être peu propice pour planter la tente. Il ne faut pas manquer ce coin. D’après ce que je lis sur la carte, une fois passée cette zone de campement, je devrais me trouver sur un secteur où il n’y a ni rivière ni lac. Donc pas d’eau sur au moins 5 km. Un randonneur lituanien me confirme l’information. Je trouve la zone en question au bord d’un lac. Il y a d’ailleurs un petit bateau à moteur amarré juste là. Et des détritus… Un tas de canettes de bière en verre, une veste posée sur un rocher, des papiers… Je ramasse tout ça et le met dans le blouson que je dépose dans le bateau. Ça, c’est fait ! La zone est maintenant propre et je peux monter mon camp. Le soleil avait fait son apparition à 13h. Il avait juste un peu de retard sur les prévisions ! Je déballe mes affaires et étale la tente pour la faire sécher avant de la monter. Avec le soleil et le petit air, ça va vite. Pendant ce temps, j’en profite pour me laver, d’autant qu’il n’y a presque pas de moustiques. Je fais aussi un peu de lessive. Je fais aussi l’inventaire de mes vivres. Il me reste cinq jours de nourriture. C’est parfait. Ma bouteille de gaz n’est pas encore vide et j’ai toujours la seconde.
Dans la soirée, alors que j’étais en train de lire dans ma tente, j’entends le grésillement d’une radio VHF tout près. Je passe la tête par la porte de la tente pour découvrir un chasseur inuit débouler avec un renne sur les épaules et son fusil en bandoulière. Le bateau est donc à lui. Il pose le tout par terre et me serre la main avec un grand sourire. Il me propose un café. Une bouteille thermos est au fond de son bateau. Lorsqu’il veut prendre son blouson, je l’arrête lui expliquant que j’avais trouvé le site assez sale et que j’avais mis toutes les cannettes dedans. Il rit. Peut-être aura-t-il compris le message. Ces déchets que nos produits de consommation courante importés au Groënland génèrent sont abandonnés partout ici. En hiver, j’ai eu l’occasion de le constater à de nombreuses reprises. Au bord des pistes on trouve des papiers, paquets de cigarette, canettes métalliques… et je ne parle pas de ce qu’on trouve près des cabanes. Mon chasseur parle peu anglais. Nous échangeons quelques mots tout de même. Il m’explique qu’il habite avec sa famille de l’autre côté du lac et qu’il vient ici pour chasser. De l’autre côté du lac ? Mais il n’y a rien là-bas ! « Mais si, il y a ma maison !» me dit-il. Incroyable. La zone est totalement isolée à cette saison. J’imagine que l’hiver il peut voyager en motoneige ou traineau à chiens. Donc pour se nourrir, il doit chasser. Le renne qu’il ramène est un animal assez jeune. Mais il n’a rien trouvé d’autre. Il a laissé la tête, 2 pattes, les viscères et la peau sur place. Il a gardé deux pattes pour pouvoir le porter. Je comprends maintenant mieux pourquoi on trouve des cranes surmontés des bois un peu partout dans les massifs. Le fusil qu’il utilise est impressionnant. Visée à lunette et silencieux au bout du canon. Il charge son bateau et s’en va en me saluant d’un grand geste de la main.
La pluie est de retour vers 18h. La température est tombée à 10°C. Il faisait 18°C dans l’après-midi.
- Distance du jour : 12 km.
- Déjeuner : œufs façon omelette au jambon.
- Dîner : sauté de champignons aux pâtes. Compote pomme-abricot.
Samedi 6 août –Jour 8
Pas envie de me lever en ce matin pluvieux. Mais le mal et dos et la grosse journée qui m’attend m’obligent à sortir de la chaleur du sac de couchage. Comme souvent depuis quelques jours, la petite pluie cesse pendant que je me prépare. Il pleut souvent la nuit, puis les matinées sont mitigées avec de gros nuages et parfois un plafond assez bas coupant les sommets. Mais le soleil fait quelques apparitions à partir de midi. Cette météo me va bien. D’autant qu’elle chasse les moustiques. Il fait beaucoup plus froid qu’en début de semaine. D’ailleurs, ça fait maintenant une semaine que je marche. J’ai bien pris mon rythme. Je prends beaucoup de plaisir sur ce trek. Le paysage est beau et la météo est plutôt agréable. Cependant, ce matin, l’étape commence par une montée qui arrive sur une immense vallée boueuse. Et c’est reparti pour un tour. Mes chaussettes qui avaient réussi à sécher… Mais aujourd’hui, mon étape me fait passer par le refuge appelé Canoë Center. Un grand refuge où je m’étais arrêté en 2019, rejoint par Kristian, Anna et leurs 11 chiens de traineau (voir roadbook Groënland 2019). De là, je vais reprendre l’itinéraire que j’avais fait en hiver. Une longue descente m’amène à une petite plage de sable et de rochers où attendent 9 canoës. Ils sont à disposition des trekkeurs pour traverser le lac. Ceux qui n’ont pas la chance d’avoir un canoë sont obligés de passer par les massifs. Comme la majorité des gens font le trek dans le même sens, tous les canoës sont au même endroit. Donc ici, sur cette plage. Il est 11h30. Je choisis donc l’embarcation la plus belle. Certains canoës sont sacrément cabossés. D’autres ont l’air neufs. Ce sont des bateaux en aluminium, très grands et assez lourds. Deux places à bord. Deux rames et deux gilets de sauvetage. Je prépare mon bateau. La météo est superbe. Ciel bleu. Un léger vent que j’aurai dans le dos. Le lac est d’huile. Il fait même chaud. Je garde mon maillot à manches longues mais enfile mon short. La première fois du trek. Je serai également beaucoup mieux en sandalettes, d’autant que j’aurai à mettre les pieds à l’eau. Avant de partir, je déjeune assis sur un rocher. Je suis comme un gamin devant cette étape ludique. Un couple de hollandais vient à ma rencontre pour voir les fameux canoës qu’ils avaient tant espéré avoir à leur disposition à Canoë Center. Mais ils ont bien compris que tous les bateaux sont ici. Ils sont très déçus et n’ont plus le temps pour faire un petit tour sur l’eau. Encore une fois, d’où l’intérêt de prévoir quelques jours de plus sur ce trek pour profiter de toute situation. Je ne sais toujours pas qui gère ce trek. Qui entretient les refuges ? Qui achète ces canoës ? Vers 12h30, je me lance. C’est la première fois que je me sers d’une rame simple. J’ai déjà fait du kayak à pagaie double. Mais là, avec une rame simple, rapidement mon bateau commence à vouloir tourner en rond. Je me souviens d’une expérience dans les gorges de l’Ardèche il y a trois ans. J’avais descendu les gorges à bord d’un kayak sur deux jours. Durant le parcours, j’avais suivi un homme à bord de son canoë. Je l’avais observé pour comprendre comme il faisait pour ramer toujours du même côté sans tourner en rond. Et j’avais vu le petit geste qui consiste, après avoir ramé, à faire pivoter la rame encore dans l’eau d’un quart de tour puis ramener le haut du manche vers soi faisant office de gouvernail. Ainsi, lorsqu’on rame à droite et que le bateau part à l’opposé, le petit geste de gouvernail ramène le nez du canoë dans l’axe. Au bout de 100 m j’ai trouvé la technique qui devient très vite un automatisme. Je rame ; quart de tour ; je ramène le manche. Mon bateau avance bien et file droit ! Chaque expérience est riche d’enseignement et peut servir ! Je ne sais pas quel effort va me demander cette étape. Peut-être que je serai crevé à l’arrivée au refuge où que j’en aurai plein les bras et les épaules. Donc je mets le cap sur le refuge de Canoë Center dans un premier temps. Je m’attends à avoir une armée de randonneurs attendant le « précieux » avec beaucoup d’impatience. Quel bel après-midi ! Je m’éclate. Je rame lentement pour ne pas m’épuiser et pour profiter. C’est reposant. Le silence et le clapotis de l’eau contre la coque me bercent. Je devrais bien dormir ce soir. Lorsque j’arrive au refuge, à ma grande surprise, il n’y a pas de comité d’accueil. Je mets pied à terre pour faire une pause. Dix minutes après, toujours personne. Je repars. Je profite du moment. Sur la carte, j’ai repéré un point de campement sur une petite plage à quelques kilomètres de là. Ce lac est une merveille. Le soleil illumine les massifs alentours. Je suis amusé à l’idée de me remémorer mon étape de 2019. Aujourd’hui je navigue sur ce lac. Je l’avais traversé à pied avec mon traineau sur l’épaisse couche de glace qui le recouvrait. Le ciel s’assombri vers 14h et le vent arrière se lève formant une petite houle. Je croise un couple à bord du dixième canoë. Ils galèrent un peu à ramer face au vent. Mais ils sont deux. Nous nous arrêtons deux minutes pour échanger quelques mots. Je débarque un peu plus loin pour me changer. J’ai froid maintenant. Je remets mon pantalon et j’enfile ma veste. A 15h30, j’arrive sur le lieu de campement. Je mets pied à terre et sors le canoë de l’eau. Je crois que cette plage est celle où j’ai campé en 2019. Il faudra que je reprenne mes relevés GPS de l’époque envoyés avec mon téléphone satellite. En tout cas, je suis crevé. Et j’ai froid. Je monte mon sac sur un petit promontoire propice au campement. Des bois de renne sont entassés ici. L’endroit est beau. Le soleil revient et me réchauffe. Après avoir monté mon camp, je vais manger la compote que je j’ai laissée hier soir. Ça me fait beaucoup de bien. En remontant du lac pour ma corvée d’eau, j’aperçois un renard polaire qui passe à quelques dizaines de mètres du camp. J’ai mon appareil photo avec moi. C’est bon, il est dans la boîte ! C’est mon premier renard polaire. En Laponie, j’avais eu l’occasion de croiser un renard roux qui est plus gros que le renard polaire. Celui-ci se déplace en bondissant. Il est amusant. Dans l’après-midi j’ai vu un gros renne sur le bord du lac. Voilà donc une belle journée qui se termine. Elle s’annonçait pourtant compliquée. Et franchement, j’ai ramé comme un Dieu ! Je vous assure !
- Distances du jour : 6 km à pied et 12 km en canoë.
- Déjeuner : pâtes à la bolognaise.
- Dîner : Colombo de poulet, riz. Je ne mange pas mon dessert.
Dimanche 7 août – Jour 9
Levé à 6h. Ce matin il pleut. Davantage que les autres matins. Et je dois plier le camp sous la pluie. Je charge le sac sous la tente, et comme l’autre jour, je mets la tente à l’extérieur du sac. Comme je continue en canoë ce matin, je n’aurai pas à le porter. A mon arrivée à l’autre bout du lac, il y a une cabane où je pourrai refaire le sac à l’abri.
Je termine les dix kilomètres à la rame. Et même s’il pleut un peu, c’est toujours plus agréable que de marcher dans la boue. Il fait froid. J’ai gardé ma veste polaire sous ma veste imperméable. Et je la supporte très bien. Lorsque j’arrive aux abords de la cabane, je cherche l’endroit où accoster. J’ai vu quelques randonneurs partir à pied. Je débarque et range le canoë. Je le sors de l’eau, le retourne et range rames et gilets de sauvetage sous les sièges. Puis je monte à la cabane à quelques mètres du rivage. A l’intérieur, un couple israélien se prépare. Il est 11h30. Ils m’aident à entrer mon sac à l’intérieur. Cette cabane est encore plus petite que les précédentes. Seulement 4 couchages les uns à côté des autres. Promiscuité assurée. Lorsque je leur dis que j’arrive de Sisimiut et que j’ai traversé le lac en canoë, la fille a les yeux qui se mettent à briller. « Mais alors, ça veut dire qu’il y a un canoë sur la plage ? ».
– Mais oui. Et je n’en ai plus besoin.
– Tu es notre ange ! Merci merci merci ! On va pouvoir faire l’étape en canoë ! dit-elle tout excitée.
Son mari me demande où est le bateau. Il attrape son sac et va le poser dessus pour le réserver. Ils m’offrent un café que j’accepte volontiers. Je n’ai pas prévu de café avec moi par soucis d’économie de poids. Mais ça me manque tellement ! Nous discutons un moment. Ils me demandent conseil sur l’utilisation du canoë. Ils n’en ont jamais fait et comptaient, eux aussi, beaucoup sur cette étape ludique. Ils me racontent qu’il y avait beaucoup de monde autour du refuge hier soir. Mais devant l’absence de canoë, tout le monde a décidé de partir de bonne heure pour faire l’étape par le massif, chacun espérant arriver le premier à Canoë Center pour trouver une embarcation. Ils seront bien déçus. Mes nouveaux amis du jour sont tellement heureux de leur décision de prendre le temps ce matin. Pendant que je déjeune ici et qu’eux finissent de se préparer, d’autres randonneurs arrivent. « Le canoë est pour nous ! Et voilà notre ange ! » dit la fille. Ils sont amusants. En tout cas, leur bonheur fait plaisir à voir. En quittant la cabane, je les vois à quelques centaines de mètres d’ici, sur le lac. Et il est temps pour moi de reprendre la piste. J’ai déjeuné. Mon sac est refait. Il pleut toujours. C’est une petite pluie, mais qui cache le paysage et qui oblige à marcher avec la tenue de pluie de la tête aux pieds. Le terrain est en grande partie sec, mais il y a quelques zones humides de mousse, de tourbe et de boue. J’appelle désormais ces zones « Spontex » du nom des éponges. On a l’impression que c’est sec, mais dès qu’on appuie dessus, on constate que c’est gorgé d’eau. J’arrive à mon point d’étape deux heures après. Je monte ma tente au bord d’un lac entre deux massifs. Elle est trempée. J’attends au moins une heure avant d’emménager, histoire qu’elle sèche un minimum, surtout le sol à l’intérieur. En attendant, je mange une compote en écrivant ces quelques mots. Bonne idée de garder le dessert initialement prévu pour le soir pour faire un goûter en fin d’étape. J’assimile la même quantité de calories quotidiennes mais de façon un peu plus régulière. Et après l’effort, c’est très appréciable et quand il ne fait pas très chaud, ça remet la chaudière en route.
- Distances du jour : 10 km en canoë et 6 km à pied.
- Déjeuner : Poulet fajita, riz.
- Dîner : Poisson et riz sauce hollandaise.
Lundi 8 août – Jour 10
Bon anniversaire Ema ! Et c’est la saint Dominique 😊.
Il ne pleut plus. J’ai plutôt bien dormi. Départ du camp à 8h30. Au bout d’une heure de marche, je vois des choses massives et marron au bord d’un lac. A l’opposé de moi. Je m’arrête observer. Je suis encore très loin. Difficile de distinguer ce que c’est. Et soudain, ça bouge. Ça confirme ce que je pensais. C’est bel et bien un groupe de bœufs musqués. Intérieurement, je suis euphorique. Enfin des bœufs ! Mais je suis totalement à découvert. Ils vont me voir arriver de loin. Et effectivement, je dois encore être à 500 mètres minimum quand ils me voient et partent au galop vers une colline. Incroyable de voir ces animaux aussi massifs se déplacer aussi vite. De loin, il me semble compter 6 bêtes dont 3 petits. Mais je ne suis
pas bien sûr. Et la photo que je vais prendre à la volée n’est pas nette. Ma piste continue dans leur direction. Donc je ne change pas de cap, mais j’avance lentement. Ils s’arrêtent à mi-chemin pour m’observer. Puis ils continuent à monter jusqu’à franchir le col. C’est parfait. Ils ne me voient plus. Je peux accélérer. En arrivant en bas de la colline, je pose mon sac au bord du sentier. Avec mon téléphone satellite qui est équipé de la fonction GPS, je pose un waypoint sur le sac pour pouvoir le retrouver si toutefois les bœufs m’obligent à faire des détours et que je m’égare. Je prends mon appareil photo et le téléphone et pars à la recherche des animaux. Arrivant au bord du col, je monte doucement par peur de me trouver nez à nez avec eux. Ces animaux sont dangereux et peuvent charger. D’autant qu’il y a des petits dans le groupe. Ils n’hésiteront pas à m’attaquer pour protéger leur progéniture. Mais ils ne sont pas là. Je continue un peu. Je monte tout en haut du col, au niveau d’un bloc rocheux pour avoir une vue dominante sur les alentours. J’ai le cœur qui bat fort. Ils sont là. Juste là, derrière les rochers. Je me cache. Il faut que je reprenne mon souffle. C’est complètement fou d’être si près de ces animaux. Je n’aurais jamais espéré ça. Je pose mes bâtons ; règle mon appareil photo. Et j’avance doucement. En regardant autour de moi pour m’assurer qu’aucun animal ne peut me prendre à revers. Tout est clair. Puis ils me voient. Immédiatement, 3 adultes, dont un énorme bœuf, peut-être le patriarche, se mettent en rang serré devant les petits. C’est leur technique de protection. Personne ne bouge. Je suis protégé par un gros rocher, et eux sont derrière un autre bloc, un peu plus bas que moi. Je pense qu’ils sont à moins de cinquante mètres. C’est beaucoup moins que ce que la raison autorise, mais ces rochers forment une barrière. Ils ne peuvent pas me charger de front. Je suis suffisamment près pour les observer et les photographier. Jamais je n’aurai imaginé faire de telles photos avec mon simple téléobjectif 105 mm. Je prends le temps de les observer. Une tête qui ressemble à celle d’une vache avec des cornes à l’envers qui descendent le long de leurs joues pour remonter vers l’extérieur. Le haut du front semble être couvert de bois qui leur fait comme une raie au milieu. Les mâles ont l’habitude de se défier en duel en se percutant tête contre tête après une course. Le choc est frontal, au sens propre du terme, et brutal. Le mâle qui a le plus mal à la tête perd le duel et du même coup la femelle convoitée. L’épaisse fourrure commence un peu plus loin. La fourrure leur fait une longue robe qui arrive jusqu’au sol. Sur leur dos, probablement des restes de laine d’hiver qui forme comme un plaid blanc sur le dos du patriarche. L’animal est imposant. Derrière ce gros bœuf, deux autres adultes, beaucoup plus petits. Ils n’ont pas cette partie dure sur le haut du front. Peut-être des femelles. Ils ont les yeux exorbités. Étrange regard. Je me déplace un peu. J’aimerais bien voir les petits. Je disparais de leur champ de vision pour réapparaître sur leur gauche. Ils se déplacent et reforme les rangs. Trop tard pour moi. Je n’ai pas eu le temps de voir les petits. Je fais ça à deux reprises. Mais ils sont trop rapides. Lors de la 3ème tentative, le « patriarche » fait un pas de côté pour se mettre à découvert et souffle un grand coup. Un son incroyable, sourd et puissant sort de cette bête. J’en ai les frissons. Le message est très clair. Il est énervé. Il n’aime pas du tout ma présence et me le fait savoir. Je comprends le message. Je recule doucement, toujours protégé par les rochers. J’attrape mes bâtons de marche et redescends tranquillement vers mon sac. En arrivant en bas, je vois les bœufs alignés sur la crète m’observant et s’assurant que la menace est écartée. Lorsque je reprends ma route à l’opposé d’eux, ils partent. Cette rencontre est incroyable. Un grand moment.
Après cela, le reste de la journée sera assez classique. Un terrain assez plat, facile à marcher même s’il y a encore quelques zones « Spontex ». J’arrive à Kelly Ville à 15h30. Kelly Ville est la zone portuaire de Kangerlussuaq. Les premiers signes de la civilisation. Je pensais qu’il y avait une zone de campement ici, mais le seul endroit que je trouve n’a pas d’eau. Je regrette beaucoup, parce qu’il y a une vue incroyable sur le fjord où sont ancrés deux paquebots de croisière. C’est une escale pour les touristes pour aller voir la calotte glaciaire à 50 km de là. Des bus font la navette. Je vais beaucoup hésiter. Ne trouvant pas de solution pratique pour l’eau, je continue un peu ma route. J’ai repéré un lac sur ma carte. Mais j’ai un peu sous-estimé la distance. Je vais finalement marcher pendant deux heures pour arriver sur zone. J’aperçois un renard polaire qui grimpe la colline devant moi. Après avoir écrit mon journal de bord, un rayon de soleil réchauffe ma tente. C’est agréable ! J’en profite pour aller faire un brin de toilette au lac, devant deux plongeons huards, ces oiseaux aussi gros qu’une oie, au chant très particulier et amusant. De retour à la tente, sentant bon le savon de Marseille et au chaud dans mes vêtements de nuit, la pluie revient. Sympa ce petit rayon de soleil opportun.
- Distance du jour : 20 km. La plus longue étape du trek.
- Déjeuner : poulet sauce aigre-douce, riz.
- Dîner : sauté de bœuf (pas musqué) aux pommes de terre et haricots verts. Crème chocolat.
Mardi 9 août – jour 11
Départ de Kelly Ville à 10h. Je ne suis pas pressé aujourd’hui. C’est la dernière étape pour arriver à Kangerlussuaq. Il y a du brouillard ce matin. L’étape est sans intérêt à marcher au bord d’une route plus ou moins goudronnée. Un minibus m’a proposé de m’embarquer. Je préfère terminer à pied. J’arrive à Kangerlussuaq à 12h30. Les deux hôtels sont complets. Je monte donc ma tente au camping tout près de la piste de l’aéroport. Aéroport qui est le centre névralgique de la ville et le seul centre d’intérêt.
Quelques tentes sont déjà installées ici. Une allemande y campe tout l’été, jusqu’en septembre. Elle travaille par ici. Je n’ai pas bien compris ce qu’elle faisait. Dans l’après-midi, je me renseigne auprès des comptoirs des agences de tourisme pour me rendre au pied de la calotte glaciaire en bus. En fait, je me rends compte que les différents comptoirs sont tous gérés par l’agence Albatros Arctic Circle. Les deux hôtels, le comptoir de l’aéroport et la petite boutique de souvenirs leur appartiennent. J’ai donc toujours la même réponse. Ils proposent deux tours : l’un se rend au glacier Russell et l’autre au Point 660. Le glacier Russell est un mur de glace qui s’effondre par blocs dans une rivière. Le Point 660 offre un accès à la calotte glaciaire. Chaque tour ne permet de rester sur place qu’une heure et coûte 650 Couronnes (85€) ! Mon idée est de me faire déposer au glacier Russell demain pour me faire récupérer au Point 660 jeudi. Mais pour ça, on m’explique qu’il faut que je réserve les deux tours. Soit 170€ la balade. Ça mérite réflexion. Dans un premier temps je me dis que c’est vraiment trop cher. Puis finalement, je me résigne.
- Distance du jour : 12 km.
- Déjeuner : j’ai mangé un hamburger-frites à la cafétéria de l’aéroport.
- Dîner : soupe coréenne achetée au petit supermarché. Trop épicée pour la terminer !
Mercredi 10 août – jour 12
Il fait froid ce matin. 5°C seulement. Vers 5h, j’ai enfilé ma veste polaire. Je n’avais pas pris la précaution de mettre mon drap en soie hier soir en me couchant. Dès 8h30, je me rends au bureau d’Albatros pour réserver les deux tours. J’explique mon idée. Dépose à un endroit aujourd’hui et récupération à un autre demain. Tout est clair. La dame me dit qu’elle va informer les conducteurs des bus. J’aurai 12 km à faire entre les deux points et du temps pour profiter de ce paysage. J’espère que la météo sera bonne. Pour le prix, le soleil devrait être inclus !
A midi, j’embarque dans un bus avec 4 touristes sud-africains. Le bus est un énorme camion 4×4 prévu pour affronter les 20 km de piste en très mauvais état jusqu’à Russell Glacier. En cours de route, nous nous arrêtons devant une carcasse d’avion, ou ce qu’il en reste. Résultat d’un crash d’un appareil militaire américain. Pour l’histoire, c’est en 1968, alors que Kangerlussuaq appartient aux USA, base avancée vers l’URSS en pleine guerre froide, que 3 appareils sont en vol d’entrainement. Mais un white out tombe sur la région plongeant l’aéroport dans un épais brouillard. Comble de malchance, une panne électrique empêche d’éclairer la piste. A cours de carburant, les trois pilotes et un passager n’ont pas d’autre choix que de s’éjecter et laisser tomber leurs appareils. Les 4 militaires seront récupérés sains et saufs (à l’exception d’un bras cassé). Les restes des appareils n’ont jamais été enlevés, les zones étant difficile d’accès à l’époque. Depuis, ces zones de crash sont devenues des lieux de mémoire. Mais il y a eu de nombreux pillages avec le temps.
Le camion-bus reprend la route. Nous commençons à apercevoir la calotte glaciaire entre les massifs au loin. Ça me rappelle les départs en vacances quand j’étais petit et que nous commencions à voir l’océan au bout de la route. Nous débarquons à Russell Glacier et continuons à pied sur un bon kilomètre pour nous rendre au pied du mur de glace. C’est un endroit assez encaissé. La calotte glaciaire arrive sur un endroit étroit mais dégagé et tombe à pic. Une rivière et une cascade coulent au pied du glacier. Nous prenons le temps d’observer et de faire des photos. Un des sud-africains a un drone. Je regarde l’écran par-dessus son épaule. Il fait de belles images. Puis nous retournons au bus. Sur le chemin, nous croisons la route d’un lagopède pas farouche. A 15h, le bus rentre à Kangerlussuaq avec ses 4 passagers restants assez incrédules de me laisser ici au milieu de nulle part. Même le conducteur du bus me propose de me ramener en ville. Mais non, je continue la route direction nord-est vers le Point 660. Je m’arrêterai 6 km plus loin devant un panorama magnifique. Depuis la route, je repère un endroit pour camper. Le soleil est présent et c’est très agréable. Il fait doux et les couleurs sont superbes. Le blanc de la glace et le vert de la végétation font un excellent contraste. Entre les deux, une rivière grise draine des sédiments de sable. C’est cette eau que je consommerai. Elle est un peu trouble, mais parfaitement potable elle aussi. Et elle vient directement de la calotte glaciaire. Cette eau est tombée des pluies il y a des millénaires ! Une fois mon camp installé, je profite du soleil et de la belle lumière pour faire des photos et observer le paysage. J’adore. Je suis une nouvelle fois en fascination devant cette glace. De l’eau s’écoule au travers des parois et des failles dans la glace. Je vois quelques personnes, peut-être une dizaine, sur un promontoire un peu plus loin. Plusieurs d’entre elles descendent à la rivière, déchaussent pour traverser et rejoindre un petit banc de sable, un peu plus près du front du glacier. J’ai du mal à définir la hauteur du glacier. Peut-être 30 mètres. Le glacier Russell fait 60 mètres (d’après le descriptif d’Albatros).
Il fait froid ce soir. 10°C. Je me couvrirai bien avant de me coucher. Il faut dire que je suis devant le congélateur et la porte est ouverte !
- Distance du jour : 6 km.
- Déjeuner : Salade de pâtes à la cafétéria de l’aéroport avant de prendre le bus.
- Dîner : Poisson et riz sauce hollandaise. Crème chocolat.
Jeudi 11 août – Jour 13
Réveil sous la pluie inattendue. Moi qui pensais plier une dernière fois ma tente au sec. Il ne fait que 3°C. Pour une fois, je fais chauffer le lait de mon petit déjeuner. Ça fera du bien de manger chaud. Je lève le camp rapidement et me mets en route dès 9h. Comme hier, j’avance bien. Je vois la calotte glaciaire un peu partout autour des massifs. La route serpente entre les différents sommets. Ça monte un peu mais l’effort n’est pas énorme. Il pleut un peu et la lumière n’est pas terrible. Dommage. Je croise tout de même un petit groupe d’une douzaine de rennes, puis 3 lièvres arctiques.
J’arrive au point final de mon aventure à midi. Le ciel s’ouvre un peu. Quelques coins de ciel bleu et un rayon de soleil passe. Comme d’habitude, je pense que l’après-midi sera mieux que le matin. Le vent souffle et me glace. Je sors gants et bonnet le temps du déjeuner. Mon dernier repas lyophilisé ! Pâtes à la carbonara.
Pendant que je déjeune, un bus de tourisme arrive. Le mien est prévu pour 15h30 environ. En attendant, et puisque le soleil est désormais de sortie, je vais me balader sur les massifs les plus hauts pour avoir un bon point de vue sur la calotte. J’ai abandonné mon sac à dos près du parking. Je ne suis pas inquiet. Je n’imagine pas quelqu’un me l’embarquer.
C’est incroyable cette immensité de glace à perte de vue. Mais au premier plan, ce que la glace ne recouvre plus est un mélange de sable, de graviers et de roche. C’est lunaire. Rien ne pousse. Clairement, cette zone était recouverte de glace il y a encore peu de temps et ça doit encore être du permafrost. Lorsque le sous-sol sera dégelé, la végétation pourra pousser. Tout ce qui dormait là-dessous depuis des millénaires se réveillera aussi. Que va-t-on découvrir dans les années qui viennent ? Du gaz, c’est certain. Le sous-sol du Groënland en regorge. Des bactéries et virus ? Très certainement aussi. Quels seront les effets sur le climat et sur l’homme ? Ce sera une surprise. Et je doute qu’elle nous plaise…
Je profite d’avoir rechargé mon iPhone à l’aéroport de Kangerlussuaq hier matin pour faire une petite vidéo. Ce téléphone m’a servi durant tout le trek pour écouter une heure de musique chaque soir après avoir lu et avant de m’endormir. Il y a du vent et le son de la vidéo est pourri. Puis je descends de mon promontoire pour me rendre sur la glace. Je n’ai jamais posé le pied dessus, même en hiver à Ilulissat. Là-bas, l’accès à la calotte glaciaire est plus délicat. Je n’ai jamais osé m’y aventurer pour des questions de sécurité. Ici, c’est beaucoup plus simple. Une fois passée la zone lunaire, il y a une petite marche de quelques centimètres de haut et me voilà sur la glace. Des spéléologues sont en train de s’équiper (casques, cordes, crampons). Plus loin, je vois des scientifiques avec des instruments de mesure. J’avance un peu. Prudemment. Je n’ai pas de crampons à glace sous mes chaussures. Mais ça va. Elle n’est pas lisse et ça ne glisse pas. Il y a des rivières qui serpentent et creusent un sillon. Je vois des trous de carottage qui sont remplis d’eau. Dans le premier je mets mon bâton de marche. Le trou fait environ un mètre de profondeur. Dans le suivant, j’enfonce mon bâton entièrement et je ne touche pas le fond. Je trouve assez émouvant de faire mes premiers pas sur la calotte glaciaire.
15h30. Un autre bus arrive et un flot de touristes débarquent. Je me présente au conducteur repérable avec son blouson vert floqué du logo Albatros. Il avait bien reçu la consigne de récupérer un passager ici. Tout est en ordre. Un petit groupe déballe les timbales en plastiques et bouteilles d’alcool. Ramassent un peu de glace et trinquent ! A la santé de la planète…
18h. Retour à Kangerlussuaq. Hôtel. Douche chaude ! Que ça fait du bien ! Fish and chips à la cafétéria de l’aéroport. C’est la fin de l’aventure. Demain vendredi sera un jour de repos ici. Décollage pour Copenhague samedi à 15h.
- Distance du jour : 6 km.
Pour conclure cette aventure
J’ai parcouru un peu plus de 170 km. J’ai pris 11 jours pour faire les 160 km entre Sisimiut et Kangerlussuaq. J’ai ajouté un quinzaine de kilomètres le long de la calotte glaciaire où je suis resté deux jours.
Ce trek aura été un des plus beaux de ceux que j’ai réalisés depuis une dizaine d’années maintenant. J’ai pris beaucoup de plaisir à marcher. Le parcours reste assez pénible par moment à cause du terrain humide. Mais l’été, le Groënland est une éponge gorgée d’eau. Mon équipement était parfait. Je n’ai rien à redire à ce sujet. J’ai eu peur de manquer de gaz dès le début, mais finalement une seule bouteille de 240 g aura suffi pour toute la durée du trek. J’ai laissé la seconde bouteille pleine, celle que j’avais trouvée dans un refuge, près de l’aéroport, en évidence sur un muret à mon arrivée à Kangerlussuaq. Elle a disparu peu de temps après. Elle aura fait le bonheur de quelqu’un.
J’ai pris le temps de faire le parcours. Comme toujours. Je profite. Carpe diem ! J’ai des images plein la tête. Enormément de bons souvenirs. Le carnet de notes que je noircis chaque soir me permet aussi de me remémorer certains moments. En le relisant pour publier ce roadbook, je me souviens ainsi de beaucoup de choses. Les photos aident également à se souvenir de ces bons moments, de ces paysages, de ces animaux. J’ai peu de photos des rencontres que j’ai faites. C’est peut-être mon regret. Il faudra que j’y pense la prochaine fois. J’ai croisé beaucoup de monde sur le parcours puisque j’étais à contresens. Entre 10 et 15 personnes par jour. C’est énorme par rapport à ce que je vis d’habitude. Des danois, des allemands, des néerlandais, un belge, des lituaniens, des espagnols, des israéliens, des inuits et tous ceux que j’ai croisés et avec qui je n’ai échangé qu’un salut !
Je suis content d’avoir pu voir autant d’animaux. C’est assez rare, surtout lorsqu’il y a du monde sur la piste. Des rennes, des lagopèdes, des renards polaires, des lièvres arctiques, des plongeons huards, et bien sûr les bœufs musqués.
Le temps passé près de la calotte glaciaire a également été un moment fort de cette aventure. Je suis toujours très impressionné et ému devant de paysage. C’est hostile et puissant. Je ressens toujours la force de la nature, comme lors de mon premier voyage subpolaire au Cap Nord en Norvège. C’était mon sixième voyage au Groënland. Planète Blanche en hiver et incroyablement verte en été. Territoire minéral et végétal. J’en suis raide dingue ! Je reviendrai…
Quelques anecdotes :
Parmi les rencontres :
- Les deux allemands qui partent avec seulement 4 jours de nourriture.
- Un randonneur avec un sac sur le dos et un autre à bout de bras. Ça risque d’être long !
- Un autre avec un gros sac sur le dos et un plus petit sur le torse. L’homme sandwich !
- Un randonneur qui me demande si je n’ai pas des lacets de rechange. C’est sa première étape et il s’aperçoit qu’un de ses lacets est coupé. Toujours vérifier son matériel avant de partir !
- Trois jeunes qui me demandent si je suis médecin. Une fille de leur groupe s’est salement entaillé un doigt. Elle marche avec un énorme bandage de fortune et la main en l’air. C’est leur 2ème étape. Ça va être long pour elle aussi…
Beaucoup d’objets tombés des sacs au bord de la piste (des chaussures, des chaussettes, des serviettes de toilette…).
Une piste de quad est en train d’être tracée pour relier Kangerlussuaq et Sisimiut. J’avais lu cette information il y a quelques années dans la presse. La première route du Groënland reliant deux villes. Mais finalement, ce sera une piste. Les deux villes joignables entre elles l’hiver, en motoneiges et traineaux à chiens. Mais l’été, comme partout dans le pays, les massifs sont peu accessibles. Cette piste fait une longue cicatrice dans ce paysage sauvage.