Laponie suédoise 2023

Kungsleden – La Voie Royale

Dominique

Je voyage dans les régions polaires depuis une douzaine d’années maintenant. Toujours seul. Souvent faute de trouver quelqu’un d’assez fou pour se lancer dans des aventures atypiques et hors de tout le confort qu’on peut attendre pendant les vacances. Mais à chaque fois, ce qui me manque, c’est le partage de ces expériences. J’essaie de le faire au travers des roadbooks et des photos que je ramène et que je publie sur mon site internet. Mais cette fois-ci, une simple envie de voir les aurores boréales, de faire un trek avec un minimum de confort (avec nuits en refuges), et un petit message envoyé par Whatsapp à ma sœur Céline, et une aventure incroyable était lancée. Voici le récit croisé de notre aventure, telle que nous l’avons vécue.

Céline

Quand Dominique m’a proposé de partir avec lui cet hiver faire la Kungsleden, j’ai d’abord été surprise, enthousiasmée et prise de doute quant à ma condition physique. Je me souvenais très bien de son roadbook pour ce trek et de la complexité du parcours. Pour autant, je crois que ma décision a été prise en 5 min, la préparation de mon absence à la maison un peu plus. Mes enfants avaient l’habitude de suivre de loin les expéditions de tonton Dominique mais que leur maman se joigne à l’une de ses aventures c’était une autre histoire. Louis était fier et envieux, Anna un peu plus préoccupée par mon absence, Joseph me disant que c’était une belle expérience. La décision en famille prise, j’ai dû me préparer matériellement et physiquement. Nous avons passé plusieurs mois à préparer notre matériel. Il a fallu m‘acheter une pulka, des vêtements adaptés au grand froid et toute l’alimentation à prévoir pour ces 8 jours de marche.

Après quelques mois à courir, nager, marcher et pilater, me voilà prête pour le grand départ. J’ai offert aux enfants un calendrier que j’ai fabriqué comme un calendrier de l’Avent. Ils pourront ainsi ouvrir une petite enveloppe chaque jour de mon absence dans laquelle j’ai glissé quelques bonbons et surtout une fiche sur laquelle j’ai écrit le programme de ma journée, l’étape, les kilomètres et des photos des refuges que j’ai trouvées sur Internet. Cela leur permettra de me suivre et de mieux comprendre le périple.


Le voyage

Céline

J’ai quitté ma petite famille le dimanche 12 mars pour retrouver Dominique à Salon de Provence. Nous avons décollé de Marseille le 13 pour Bruxelles puis Stockholm. Nous avons dormi au Jumbo Stay, un Boeing 747 transformé en hôtel près de l’aéroport de Stockholm. Le 14, nous avons décollé pour Kiruna avant de rejoindre la gare pour embarquer dans un train qui nous a emmenés à destination : Abisko.


Abisko, 14 mars 2023

Céline

Abisko, 250 km au-dessus du cercle polaire, parc national de la Laponie Suédoise. Nous sommes chargés de nos pulkas qui ne sont pas passées inaperçues dans les aéroports ! Ce voyage a été l’occasion pour moi de questionner Dominique sur le trek, sur la Laponie, le peuple des Samis, ce peuple autochtone éleveur de rennes… Il connaît très bien la Laponie et c’est rassurant. J’apprends beaucoup de choses.

J’ai intégré aussi bons nombres d’informations sur notre matériel et son fonctionnement. Il va falloir que je sois autonome.

Je me sens très excitée et curieuse. Je n’ai pas d’inquiétudes d’ailleurs bien qu’on est tenté maintes fois de me faire peur, je n’ai jamais eu d’inquiétudes pour ce voyage. Dominique a toujours été rassurant et encourageant.

Nous nous installons ce soir au STF Turiststation, un hôtel qui reçoit les randonneurs de la Kungsleden mais aussi des touristes qui viennent passer quelques jours à Abisko pour voir les aurores boréales et visiter les environs.

Nous préparons nos pulkas en mode trek. Je range le chariot à roulettes au fond de la pulka et les affaires de nuit, d’urgence et l’alimentation sur le dessus.

Nous dînons dans la cuisine commune. C’est là que je suis soudainement traversée par le doute. Et si je n’arrive pas à tirer cette pulka qui pèse 30 kg sachant que j’en fais 50 ? Je ne sais pas ce qui m’attend, est-ce que je ne vais pas me sentir loin de tous ces trekkeurs ? Je ne parle quasiment pas anglais ce qui est un vrai problème quand on voyage. Pour l’instant, Dominique me traduit tout et je fais en sorte que personne ne s’adresse à moi. Mais ne vais-je pas me sentir isolée dans les refuges ? Tout d’un coup, les questions se bousculent dans ma tête. Dominique me rassure et me dit que nous aurons cette discussion demain soir après notre 1ère étape. Maintenant, il est l’heure d’aller dormir, le temps est couvert et il n’y aura pas d’aurores ce soir. Je mets du temps à m’endormir, demain c’est le grand jour.


Jour 1. Abiskojaure. La taïga. 15 km

Céline

Nous nous réveillons sous un ciel encore chargé de nuages mais plus lumineux que la veille, il fait -12°C. C’est parti. Quelques photos du départ et nous coupons les téléphones. Je m’équipe, je chausse mes raquettes (pour la première fois car je n’ai jamais fait de raquettes !), j’enfile mon harnais qui me relie à ma pulka et me voilà partie faire mes premiers pas sur cette neige lapone. Je suis agréablement surprise par la sensation de glisse de la pulka. Elle est légère. Je dois l’apprivoiser car si c’est facile sur un sol plat, les descentes sont beaucoup plus acrobatiques, la pulka me double, m’emporte et je dois retenir son poids. Je teste aussi les montées et là ça se complique, l’effort est plus intense. Au fil du temps, je prends mes repères. Nous traversons la taïga. J’aime ce paysage de forêt de bouleaux recouverts de neige. Il n’y a pas de vent, le paysage semble figé. Dominique n’aime pas la Taïga, il préfère les grands espaces. Nous voyons beaucoup de traces d’animaux mais ils se cachent. Les élans nous voient bien avant nous et ne se montrent pas. Je pensais voir des rennes mais j’ai été déçue d’apprendre que l’hiver, les Samis déplacent les rennes en Norvège où ils ont davantage de végétation. Il arrive que certains se perdent durant la transhumance et on peut les retrouver sur la Kungsleden l’hiver mais ils se font rares.

Le sentier est balisé par des croix rouges espacées tous les 50 m. Dans la taïga, le chemin est étroit et sinueux, je marche devant à bon rythme.

Nous nous arrêtons faire une pause-café. Dominique réorganise un peu sa pulka qui est trop chargée à l’avant, elle ne glisse pas bien. Nous rencontrons un groupe de guides suédois en camp d’entrainement. Nous discutons un moment avec l’un d’entre eux qui nous dit avoir vu un élan non loin de là. Je suis en forme, le café me fait du bien. Nous reprenons la route sous le soleil, le paysage est encore plus beau. 2 km plus loin, je n’ai plus d’énergie. Il faut manger. Installés sur nos pulkas, nous avalons nos pâtes bolognaises bien chaudes dans nos boites isothermes. Je profite de la quiétude du paysage. Un carré de chocolat en guise de dessert et nous voilà repartis.

Dominique

Nos premiers pas dans cette aventure se passent bien. Céline affiche un sourire qui fait plaisir à voir. L’effort de la marche en raquettes avec la pulka attachée à la ceinture ne l’inquiète visiblement plus. De mon côté en revanche, je suis embêté avec ma pulka qui n’arrive pas à suivre mes pas. Elle prend des sillons tracés par des skieurs passés avant nous. J’ai mille peines à la ramener derrière moi. Je finis par comprendre. Le chargement est déséquilibré. Je charge toujours ma pulka de la même manière. Ainsi, je sais où sont mes affaires. Seulement voilà, habituellement je voyage en autonomie et j’embarque 3 à 4 litres d’essence pour mon réchaud que je positionne à l’arrière de la pulka. Comme nous serons hébergés en refuges, Je n’ai pas cette charge. Et donc la pulka pique du nez. Je profite d’une pause pour rééquilibrer le chargement et modifier mon système de cordage, entièrement nouveau pour ce trek. J’avais laissé une corde coulissante entre la pulka et le harnais. J’ajoute un nœud pour créer une tension supplémentaire sur les cordes si la pulka quitte ma trace, et l’obligeant ainsi à revenir derrière moi. Et ça marche. Ça va beaucoup mieux. Je ferai le même nœud sur le cordage de Céline.

J’ai tout de même hâte de sortir de la taïga dont je n’aime pas le paysage. Cette forêt boréale constituée essentiellement de bouleaux est assez sombre et peu passionnante à mon goût. Le seul intérêt peut être la vue de certains animaux, comme les élans dont nous voyons beaucoup de traces. Mais la chance ne nous sourit pas et nous ne voyons rien du tout.

Céline

Nous rencontrons deux femmes en ski et sac à dos qui font une pause, nous les saluons. Vers 14h nous arrivons sur le lac d’Abiskojaure. La piste est damée par le passage des motoneiges ce qui rend notre marche plus facile. C’est assez étonnant de marcher sur un lac gelé. La couche de glace est épaisse et recouverte de neige. J’appréhende de passer à travers mais si les motoneiges passent c’est que nous pouvons passer.

Dominique me dit que nous sommes bientôt arrivés. Le refuge est en vue au bout du lac ! Quelle joie de l’apercevoir ! Je suis rassurée, je commence à fatiguer et j’ai mal aux jambes. Le lac est immense, nous le traversons mais le refuge n’approche jamais. Ce lac me paraît interminable. Une bonne heure s’est déjà écoulée depuis que nous voyons le refuge. Tout d’un coup, nous entendons un drôle de cri d’oiseaux. C’est un lagopède, cette poule blanche qui se fond dans le décor de la neige. L’été, le lagopède change de couleur en gris/brun. Nous l’apercevons au loin puis 2 et 3 et finalement un bon nombre. Nous détachons nos pulkas pour aller les photographier. Les deux skieuses nous rejoignent, échangent avec nous quelques mots sur ces petites poules et reprennent leur route.

Le refuge se rapproche ou bien nous avançons je ne sais plus trop ! Mes jambes avancent mécaniquement, ces derniers kilomètres sont longs. Finalement nous arriverons au refuge 2h après l’avoir vu pour la première fois, je comprends que notre vue est faussée par l’espace et le blanc du paysage, le lac faisait en fait 5 km !

Nous voyons une femme avec son bonnet rouge sortir du refuge et venir à notre rencontre les bras chargés d’une grosse thermos et de deux gobelets qu’elle nous tend. C’est la gardienne, elle nous souhaite la « Välkommen ». Elle nous sert une boisson chaude à base de Lingon, une baie que l’on trouve beaucoup en Laponie. Son mari la rejoint avec ce même bonnet rouge. Quel plaisir d’être accueillis ainsi. Ils savent que nous avons beaucoup marché et que nous sommes fatigués. Ils nous montrent le refuge et son fonctionnement. Nous pourrons rapidement nous installer.

Le refuge est très joli, tout en bois clair. Il y a 2 grands dortoirs. Nous retrouvons les 2 skieuses, installées devant le poêle qui est déjà allumé. Elles ont une soixantaine d’années, visiblement 2 randonneuses aguerries, des Suédoises. Trois jeunes tchèques sont allés couper du bois, et vu ce qu’ils ramènent, nous n’en manquerons pas ce soir ! Nous déchargeons les pulkas et je m’installe à une table pour prendre un café et des petits gâteaux bien mérités. Un groupe en voyage organisé arrive, puis 2 français. Nous allons être nombreux ce soir. J’observe tout ce petit monde qui s’affaire aux tâches collectives. Certains ont l’air bien habitués des refuges. Je regarde comment fonctionne le système de seaux et de bassines de la cuisine. Il n’y a pas d’eau courante, ni d’électricité. Un réchaud au gaz permet de faire chauffer l’eau. Dominique demande où se trouve le point d’eau pour aller remplir un bidon.

L’une des deux suédoises s’approche de moi et me parle en anglais. Je dégaine aussitôt mon arme fatale « I don’t speak english » ce qui veut dire « adressez-vous à mon frère, il me traduira !». Mais je vois bien que ça ne va pas se passer comme ça. Les yeux de cette femme se plissent, je la vois se concentrer cherchant quelque chose visiblement bien enfouie au fond de sa mémoire et elle me dit « d’où venez-vous ? » dans un français impeccable ! Je suis sauvée ! Elle s’appelle Eva, son amie Anne, elles vivent à Stockholm. Anne ne parle pas français alors je m’efforce à mon tour, en plissant surement beaucoup beaucoup plus les yeux qu’Eva, d’aller chercher bien loin mes quelques mots d’anglais. Nous arrivons ainsi à communiquer.

Au refuge d’Abiskojaure, il y a un sauna. La gardienne nous a informés des horaires 17h-18h les femmes, 18h-19h les hommes et ensuite c’est mixte. En suède, dans les saunas, le maillot de bain est interdit pour des raisons d’hygiène et c’est mixte. Depuis quelques temps ils se sont adaptés aux touristes en instaurant des temps différents pour les hommes et les femmes.

A 17h, je décide de m’y rendre. C’est un sauna à bois. Là encore, des seaux et des bassines. Un grand récipient d’eau très chaude et un autre d’eau froide. Il faut faire son petit mélange pour se laver avant d’entrer dans le sauna. Un bon moment de détente. Eva et Anne me rejoignent.

La soirée au refuge se passe dans la bonne humeur, les bougies s’allument et nous sortons les lampes frontales. J’aime beaucoup cette ambiance feutrée. Dominique fait chauffer de l’eau pour préparer nos plats lyophilisés. Nous dînons à côté de nos deux nouvelles camarades en faisant le bilan de cette belle journée.

Vers 21h30, tout le monde commence à aller se coucher. Dominique revient dans le dortoir en me disant qu’il y a des aurores, il faut sortir ! Tout le monde se rhabille illico. Et nous nous retrouvons dehors dans la nuit. Il y a en effet des premières traces d’aurores qui s’accentuent au fil du temps. Nous rions parce qu’il y a deux français qui sortent du sauna, entièrement nus dans la neige pour regarder les aurores !

Il faut aller dormir, demain nous partons pour Radunjarga.


Jour 2. La cabane de Radunjarga. 13 km

Céline

J’ai eu du mal à m’endormir hier soir, j’avais très peur des courbatures. Je m’étais étirée, massée et bien hydratée. Et finalement, ça donne un bon résultat ce matin car je me sens bien. Cette deuxième étape devait faire 22 km mais nous la coupons en deux. Dominique connaît une cabane à mi-chemin dans laquelle nous pourrons dormir.

Après un bon petit déjeuner, nous chargeons les pulkas. Le ciel est bien chargé. Nous suivons les traces du groupe de skieurs partis un peu avant nous. Nous sortons bientôt du parc National d’Abisko et de la taïga, à nous les grands espaces. Rapidement, nous commençons à monter. Dominique m’avait prévenue qu’il y a des kilomètres d’ascension sur cette étape. La pente est de plus en plus raide. La pulka me rappelle qu’elle est là. Elle est difficile à tirer alors mes pas se font plus lents. L’effort me demande de la concentration, nous montons dans le silence. Je me perds dans mes pensées, mon rythme est très régulier. J’ai l’impression de gravir l’Everest tellement mes pas sont lents et pourtant j’apprécie ce moment d’effort. A midi, nous nous arrêtons déjeuner, le soleil est sorti et appréciable. Le refuge est encore à 6 km au moins. Nous continuons de monter un peu et j’aperçois enfin la cabane. Je sais qu’elle est très loin alors je ne me réjouis pas encore, d’autant que je vois cette ligne droite qui me semble bien longue. Nous arrivons à la cabane vers 16h. Des skieurs s’y sont arrêtés faire une pause, ce sont les deux français que nous avons vus au refuge, Laurie et Michel, deux auvergnats. Ils reprennent leur route pour Alesjaure. Michel semble fatigué et pourtant il leur reste encore 9 km. Je suis bien contente de dormir ici. Nous découvrons notre hôtel 4 étoiles. La cabane fait à peu près 15 m2, équipée de bancs, d’une table et d’un poêle. A l’extérieur, un abri pour le bois et un petit cabanon pour les toilettes. Parfait !

Dominique

Le groupe de skieur, encadré par leur guide de la société STF, peine à avancer. Ils sont souvent arrêtés. Ils sont partis devant nous mais dès que la montée du massif se présente, ils s’arrêtent longuement pour mettre les peaux de phoque sous leurs skis. Céline et moi mettons les cales de nos raquettes pour avoir le talon surélevé et avoir la sensation de marcher le pied à plat, comme si nous montions un escalier. Céline apprend la manœuvre qu’elle aura l’occasion de répéter dans les prochains jours. La montée se fait tranquillement. Dans un effort soutenu mais régulier. Nous prenons de la hauteur et je sais déjà que le paysage qui se présentera devant nous après le passage du col est fantastique. Céline assure comme une pro. Je redoutais beaucoup ces deux premières étapes. Généralement, c’est là qu’on est pris de doutes. « Mais qu’est-ce que je suis venu faire ici alors qu’on pourrait être au bord d’une belle plage dans un transat ? ». Mais tout va bien. Lorsque je me retourne pour demander si tout va bien, c’est toujours avec le sourire aux lèvres qu’elle me dit que « oui, tout va bien ».

Une fois seuls à Radunjarga, au milieu de nulle part dans un cadre incroyable, le calme et le silence m’enchantent. Une fois de plus. Le ciel se dégage au cours de la soirée. La météo est superbe. La cabane se trouve au milieu d’un immense marécage entièrement gelé et recouvert par un épais manteau neigeux. L’été, la zone est inaccessible. Le chemin de randonnée passe bien plus au large, au pied des massifs. Tout autour de nous, à des kilomètres tout de même, des massifs aux formes arrondies, érodés par d’anciens glaciers disparus, encerclent le lieu. Le regard porte loin, trompant les distances.

Dans cette cabane, le confort est sommaire. Ce n’est pas un refuge de la STF. Il y a un petit stock de bois. Je coupe de grosses buches pour qu’elles tiennent le plus longtemps possible ce soir. Pour l’eau, je fais quelques allers retours pour ramener de la neige. Il en faut beaucoup pour avoir la quantité d’eau nécessaire à notre dîner. Pour cette étape, j’ai prévu mon petit réchaud à gaz et nous avons acheté une bouteille de gaz à la boutique de Abisko Touriststation. Le gaz gèle, c’est pourquoi, en principe, on utilise des réchauds à essence l’hiver. Mais compte tenu du fait que la cabane est chauffée par le poêle à bois, le gaz fonctionne.

Céline

Nous déchargeons les pulkas. Je prends le temps de m’assoir à l’intérieur pour me reposer mais Dominique part tout de suite couper du bois. Je décharge la popotte et le réchaud car nous devons faire fondre de la neige, nous n’avons pas d’eau ici. Dom allume le poêle. La pièce commence à se réchauffer. Nous prenons un café et des petits gâteaux. Je m’amuse de ce peu de confort. Cette cabane est au milieu de nulle part, autour de nous l’immensité. Nous sortons faire de belles photos. Le ciel est bleu, le soleil est bas et sur la neige cela donne une lumière magnifique. Peut-être qu’il y aura des aurores ce soir ! Nous nous sommes bien installés avant que la nuit tombe. Vers 18h, nous sommes en train de bouquiner et nous entendons du bruit à l’extérieur. Soudain la porte s’ouvre. Quatre allemands qui débarquent ! Ils veulent dormir là ! Bien sûr ! Trois hommes et une femme entrent alors dans la cabane. Ils ont l’air exténués, la femme est livide. Dominique me regarde l’air interrogatif. Ils ne parlent pas. Nous leur faisons de la place. Ils installent rapidement leurs affaires en silence, allument leur réchaud, font fondre de la neige et préparent à manger. Une fois rassasiés, ils ont repris un peu de force, ils commencent à nous parler. Ils arrivent de Nallo. C’est à 26 km ! Ils sont en ski et pulka. Matthias qui parle bien anglais est le plus bavard et drôle aussi. Falk semble un peu plus jeune et plus discret. Salki, la femme, a le visage marqué par le froid mais elle a un regard très doux et Frank est visiblement le timide de la bande. Ils apparaissent finalement bien sympathiques. Nous dînons juste après eux. Une belle soirée dans la lueur de nos bougies. Ils nous demandent à quelle heure nous voulons nous coucher, ils semblent pressés d’aller au lit ! Sans blague ! Ils nous demandent quand même de les réveiller s’il y a des aurores ! Bien sûr que nous allons nous coucher mais où ? Nous sommes maintenant six. Visiblement, ça ne pose de problèmes à personne. Ils ont l’air bien habitués. Matthias s’entend avec Dominique pour que nous installions nos matelas en rang d’oignons sur le sol ! Ok mais ça ne loge pas alors Frank décide de dormir sur l’un des bancs. Soit ! Nous sortons voir s’il y a des aurores.

En ouvrant la porte nous avons l’impression de rentrer dans le congélateur tellement il y a de la fumée ou vapeur je ne sais pas trop. C’est assez étonnant. Une petite trace d’aurore mais rien de plus.

Matthias a remis du bois dans le poêle. Entre Dominique et le pied de la table, je me glisse dans mon sac de couchage « -40°C », la capuche bien serrée, ça devrait aller.  Gute nacht !


Jour 3. Alesjaure. 9 km

Céline

J’ai très bien dormi. Quand j’ouvre les yeux à 7h, je sens le froid de la cabane. Le poêle s’est éteint dans la nuit. La cabane est lumineuse, il y a visiblement du soleil. Dominique est déjà levé depuis un moment mais il est le seul. Alors que tout le monde émerge de sa nuit réparatrice, Dom nous amène les bonnes nouvelles. Il a déjà fait plein de photos. « Il fait super beau, un soleil incroyable et il fait -26°C ! ». Je referme d’un coup mon sac de couchage ! C’est très froid -26 !!! Je m’habille même à l’intérieur de mon sac !

Rangement, petite toilette, petit déjeuner dans la bonne humeur de nos compagnons. Séance photo. Je sors enfin dehors et je suis surprise car je n’ai pas froid du tout, le soleil est très agréable et le paysage est splendide. Je pense qu’on ne voit ça nullement part ailleurs, le soleil se lève doucement, c’est magique et toujours ce silence…

Dominique

Une fois n’est pas coutume, je me lève le premier vers 6h30. Le jour est levé depuis longtemps et le soleil inonde la cabane par une fenêtre sans rideaux ni volet. Je m’habille en silence et sors pour prendre l’air et soulager ma vessie. Le soleil se lève entre deux massifs à l’horizon. C’est magnifique. Je retourne dans la cabane où tout le monde dort encore pour récupérer mon appareil photo. Quelle lumière ! Malgré le froid qui traverse mes gants, je me sens comme le roi du monde de pouvoir profiter d’un tel moment. Quelle chance nous avons d’être là ! S’il y avait eu des doutes sur la raison de notre aventure les jours précédents, ils auraient été effacés à cet instant-là.

Une fois tout le monde réveillé, il nous faudra ranger nos sacs de couchage et matelas pour avoir de la place, faire de l’eau et prendre nos petits-déjeuners. Nos colocataires sortent et me demandent où se trouve mon thermomètre. Ils immortalisent l’instant. C’est leur record de température négative.

Céline

Je fais la vaisselle avec de la neige et je finis de me préparer. Je range mes chaussons et je marche en chaussettes dans la cabane un petit moment avant d’enfiler mes chaussures de rando. Mes pieds sont froids, aïe, j’ai rangé mes chaussons un peu trop tôt. C’est l’heure de dire au revoir à nos amis. Salki nous tend 2 barres chocolatées. C’est adorable. Nous les saluons, eux partiront en direction d’Abiskojaure.

Après 10 min de marche environ, je ne sens plus mes pieds, je ne bouge plus mes orteils. Je m’en doutais, mes pieds étaient trop froids quand j’ai enfilé mes chaussures. Dominique me dit « demi-tour ». Nous revenons à la cabane d’un bon pas. Les Allemands sont surpris. Je me déchausse dans la cabane. Matthias avait rallumé le poêle, bonne idée. J’ai 5 orteils de gelés. Il faut les réchauffer. Le sang recircule. Ouf, il ne faudra pas couper s’exclame Dom ! Salki me tend 2 chaufferettes à coller sur mes semelles de peur que je perde mes orteils dans la journée ! Je la remercie, ça va bien m’aider en effet. Au moment de reprendre la route, elle insiste pour me donner 2 autres chaufferettes en me disant qu’avec ses chaussures de ski elle ne risque pas la gelure. Quelle gentillesse.

Nous pouvons enfin reprendre notre route. L’étape n’est pas très longue mais je suis fatiguée, je n’avance pas vite. Je commence à avoir de bonnes courbatures. Nous dépassons un camp Same avant d’arriver au refuge à 12h30. Nous avons un bel accueil des gardiennes, toujours avec ce verre de lingon bien chaud. Le refuge d’Alesjaure est le plus grand. Il est très beau. Nous nous installons dans notre chambre où nous faisons la connaissance d’Elias, un jeune Suisse allemand de 25 ans. Il voyage seul en ski et pulka. Il semble fatigué. Nous déjeunons dans la salle commune en sa compagnie. Il nous explique qu’il a fait l’étape d’Abiskojaure à Alesjaure en une fois et est arrivé hier soir éreinté et en larme. Les gens du refuge se sont occupés de lui, l’ont fait manger et dormir mais il n’a pas pu repartir ce matin trop épuisé. Nous retrouvons aussi Anne et Eva, les Suédoises. Je suis contente de les voir. Elles nous racontent combien l’étape a été longue pour elles aussi. Elles ont donc décidé de faire une journée off au refuge aujourd’hui. Nous avons bien fait de dormir à la cabane.

Dominique

Cette étape sera courte. Seulement 9 km. Nous n’avons pas pris la peine de préparer notre déjeuner lyophilisé ce matin. Nous devrions arriver au refuge d’Alesjaure vers 13h. Habituellement, chaque matin, nous faisons bouillir de l’eau et préparons un repas lyophilisé que nous mettons dans des boîtes isothermes. Ainsi, lorsque nous nous arrêtons pour déjeuner, inutile de sortir le réchaud et d’attendre que le plat se réhydrate. Nous pouvons manger rapidement.

Nous marchons tranquillement dans les traces des motoneiges et autres skieurs passés la veille. Le terrain est un peu labouré et il faut tirer la pulka. J’adore cet effort et cette marche qui est régulière. Les paysages sont fantastiques et la météo incroyable. Pas un nuage dans le ciel. Juste un petit vent de face qui nous glace le visage par moment. Nous alternons entre coups de chaud et frissons. Cette large vallée s’étend à perte de vue. Nous marchons mais le refuge est long à venir. Céline est fatiguée mais toujours souriante.

Céline

Après avoir mangé, nous nous reposons. J’aime beaucoup ces moments de détente au refuge. Les étapes sont difficiles mais je ressens une grande satisfaction quand j’arrive et le confort des refuges est encore plus apprécié.

Des attelages de chiens arrivent. Je trouve ces chiens de traineaux magnifiques. Je sors les photographier. Dominique m’a souvent parlé d’eux. Ils ne vivent pas du tout dans les mêmes conditions en Laponie et au Groënland où ils sont traités comme des esclaves. En Laponie, le chien est plus respecté. Ces attelages sont conduits par des touristes qui font la Kungsleden en traineau. Ce groupe va dormir ce soir dans notre refuge. Il va y avoir de l’animation.

Dans l’après-midi, nous décidons d’aller voir le village Same à 20 min de marche. C’est agréable de marcher sans la pulka, tellement plus facile. Le village est joli, les petites cabanes sont colorées et recouvertes de neige. Il y a encore des pinces à linge sur des fils. On reconnaît un sauna au centre du village, quelques cabanes de tourbe et des tipis qui abritent du bois. Le village reprendra vie l’été prochain de juin à fin juillet.

De retour au refuge, Elias et Dominique partent chercher de l’eau alors que le vent s’est bien levé. Le point d’eau est en contrebas et il n’y a pas de chemin damé pour y accéder. Bon courage à eux ! En attendant, je fais connaissance avec le guide des attelages. C’est un musher norvégien que j’ai surnommé « Hagrid », en référence au personnage d’Harry Potter, tellement il est géant. Quand il me parle, je ne comprends rien. Alors il répète ses phrases deux fois plus fort pensant que je vais mieux comprendre. Il me fait beaucoup rire. Le blizzard est maintenant bien installé, ce vent est très fort, soulève la neige et crée un brouillard dans lequel on peut très vite se perdre. C’est pourquoi le blizzard est si dangereux. Dominique et Elias reviennent avec un bidon d’eau, ils ont l’air d’avoir bien trimé mais ils rigolent. La galère à deux c’est toujours plus sympa. Je sors pour aller chercher un sac que j’ai oublié dans la pulka. La porte du refuge m’échappe, elle frappe fort contre un garde-corps, je sors dans ce vent en essayant de ne pas tomber. Je prends rapidement mon sac dans ma pulka et je rentre mais la porte est trop difficile à fermer, j’attrape la poignée des deux mains et je tire tant que je peux. Soudain je vois une main (de géant) attraper le haut de la porte et la fermer en m’attrapant en même temps pour me faire rentrer. C’est Hagrid, merci Hagrid !

Le sauna est à 17h pour les femmes mais je redoute de m’y rendre quand je vois où il est situé non loin du point d’eau. Dominique me dit d’attendre voir si d’autres filles le tentent. Je vois en effet quelques filles se préparer. Je sors avec l’une d’entre elles qui part en éclaireuse.  Dehors, c’est l’enfer, la neige nous frappe le visage et on ne voit rien. La fille devant tombe et se relève, elle m’ouvre le chemin. Elle me montre une autre direction car c’est trop pentu par ici. Nous sommes rejointes par les autres filles.

Les unes après les autres, nous nous retrouvons le nez dans la neige. Je m’enfonce jusqu’au genou et je me demande vraiment pourquoi il n’y a pas d’accès facile à ce sauna. Nous arrivons enfin après tant d’effort. Je vois Anne et Eva qui arrivent aussi, décidément, ces deux-là n’ont peur de rien ! Le sauna est un moment de grande solitude pour moi car je suis entourée de suédoises qui parlent suédois. A part Anne et Eva, les autres sont plutôt jeunes, la trentaine. Je profite de ce moment pour me détendre en regardant le blizzard par la fenêtre. Eva vient me voir pour me dire que je dois rentrer avec elle car c’est trop dangereux dehors pour rentrer seule. J’apprécie cette bienveillance. Je sors, me lave et m’habille. Une fille vient me parler en français. Elle me demande d’où je viens. Elle fait la Kungsleden avec ses 4 copines. Elle me dit que le vent est fort et qu’il faut faire attention. Ah oui j’ai bien compris ! Une fille tente de sortir seule et revient 2 min après en nous disant que le vent est trop fort. Elle ne peut pas remonter seule. Elle rit de la situation ce qui détend l’atmosphère. Nous partons toutes ensemble, je monte à la force des cuisses en tenant la main d’Eva. Derrière je vois Anne qui tombe. Je vais l’aider à se relever. Nous arriverons au refuge comme si nous venions de faire un marathon ! Ça nous fait rire, qu’est-ce qu’il ne faut pas faire pour pouvoir se laver !

Dans la soirée, Dominique tentera à son tour d’y aller, mais le sauna est éteint, il pourra quand même se laver.

Je regarde par la fenêtre les chiens qui sont dehors attachés dans le blizzard. Hagrid est aussi dehors, dans la nuit il leur donne à manger. La fille du sauna revient me voir. Elle m’explique que les chiens vont creuser un trou pour s’y loger et se laisseront ensevelir par la neige qui les isolera du vent.

Au diner, nous faisons la connaissance de Philip, un allemand qui voyage lui aussi seul en ski et sac à dos. Il est plutôt discret, ne parle pas beaucoup mais semble apprécier notre compagnie. Dominique et lui se montrent leurs photos. Il a un bon appareil lui aussi. Si Elias parle très peu français, Philip, lui, se débrouille plutôt bien, je fais donc de lui un allier ! Elias et Philip dînent très tôt vers 18h alors que Dominique et moi mangeons vers 19h30.

Le vent souffle toujours très fort. Hagrid nous dit que le blizzard ne va pas se calmer, nous risquons de rester bloqués là demain. Nous partons nous coucher avec quelques inquiétudes quant à notre emploi du temps.

Dominique

Décidément, c’est une histoire déjà vécue qui se présente encore ici. En 2012, lors de mon premier trek, ici même sur la Kungsleden, et ici-même à Alesjaure, je me suis retrouvé bloqué dans ce refuge à cause du blizzard. Les mêmes questions se posent aujourd’hui. Les mêmes doutes. Les mêmes inquiétudes. Quand ce blizzard va-t-il se terminer ? Pourrons-nous partir demain ? Devrons-nous revoir nos plans ? Nous n’avons qu’une demi-journée de secours pour avoir notre avion du retour. Dans cette galère, tout le monde se sert les coudes. Chacun y va de son avis, de ses plans. Puis lorsqu’un nouveau bulletin météo arrive, porté par nos gardiennes de refuge compatissantes, les plans sont revus. Le vent devrait se calmer demain après-midi. Puis finalement, une information contradictoire arrive. Hagrid nous prévient qu’il sera probablement impossible de quitter le refuge demain… Elias et Philip discutent ensemble en allemand. Leurs langues maternelles sont très voisines. L’allemand pour l’un, le suisse-allemand pour l’autre. Eux aussi sont pris de doute. D’autant qu’ils voyagent seuls.

En l’état, il est impossible de prendre la piste. Si le vent souffle comme ça demain, nous devrons rester ici. C’est un vent continu et très fort. On tient à peine debout. La neige est balayée. Les traces au sol sont effacées. Sur notre itinéraire, nous aurions ce vent de côté. La marche serait épuisante. Il nous faudrait faire notre propre trace. Nous n’avons pas d’autre choix que d’attendre.


Jour 4. Tjäktja. 13 km

Dominique

Je me réveille vers 5h. Le dortoir a retrouvé un calme étrange. Je n’entends plus le vent dans le conduit du poêle. C’est étrange. Puis finalement, une rafale passe, et plus rien. On dirait que le vent s’est calmé. De mon lit en hauteur, je vois les chiens qui commencent à se réveiller. Par la fenêtre, je constate effectivement que le blizzard s’est terminé. Il ne reste que des rafales par moment. Les chiens s’ébrouent pour se libérer de la neige qui leur a servi de manteau cette nuit. Notre départ devient possible. 6h, je me lève. Comme souvent, je suis le premier. C’est agréable ce calme matinal. J’en profite pour prendre mon petit déjeuner et préparer les bouteilles d’eau. Trois Thermos d’eau froide et une d’eau chaude. Ainsi que nos repas pour le midi. Je réveille Céline à 7h. Il nous faut nous préparer. Je ne sais pas ce qu’ont prévu les autres.

Céline

Le vent a soufflé toute la nuit. Ce matin, personne ne se prépare, le blizzard souffle encore. Il fait -10°C.  La gardienne vient nous donner la météo du jour. Le vent devrait faiblir à partir de 10h puis dans la journée jusqu’à retrouver un temps beau et calme ce soir. Dominique me dit de me préparer. Il serait seul, il serait déjà parti. Il me dit que nous sommes en hauteur dans ce refuge, nous allons descendre dans la vallée où normalement on devrait avoir moins de vent.

Je remarque que je mange de moins en moins. Je ne finis pas mon petit déjeuner. Je sature des plats lyophilisés, certes très bons mais leur texture m’écœure de plus en plus. Les céréales du matin aussi. Dominique me dit que je ne mange pas assez. Il l’a vu hier sur l’étape où je manquais d’énergie. Il me propose d’aller à l’accueil du refuge où il y a une petite épicerie. Il faut que je trouve quelque chose qui me fasse envie. En effet, je trouve des sachets de viande de renne et des biscottes WASA. Le renne est très bon, je mange les ¾ du sachet avant de partir, c’est plein de protéines. Dom me prépare aussi un verre d’une boisson lyophilisée hyperprotéïnée qu’il avait emmenée, une potion magique me dit-il. Nous la partageons. Ce n’est vraiment pas bon mais il faut l’avaler. Avec tout ça je devrais avancer.

Je questionne Anne et Eva qui me disent qu’elles ne vont pas partir, elles resteront une journée de plus ici. Elias nous dit qu’il abandonne, c’est trop dur pour lui. Il restera là aujourd’hui et fera demi-tour demain. Philip ne sait pas. Il ne partira pas dans ces conditions. Il attend. Dans ces moments-là, je remarque que les gardiens ne donnent aucun conseil, ils se contentent de donner la météo. Chacun doit prendre ses responsabilités. Dominique ne motive personne à le suivre. Il explique à Philip et Elias qu’en fond de vallée, il y aura sûrement moins de vent mais rien n’est sûr. Moi je n’ai pas peur, je crois que j’ai envie de me confronter à ce blizzard. Dominique me dit que nous ne partirons pas avant 10h. Il me fait remarquer que le vent n’est plus continu, il est en rafale. Bien.

A 10h, nous sommes les seuls à partir. Hagrid ne part pas non plus, il préfère attendre. Ses touristes risquent de tomber des traineaux.

Dominique

La météo ne semble pas certaine. La puissance des rafales devraient baisser vers 10h. Mais demain, le retour du blizzard est possible. Je sens que nous avons un créneau assez étroit et qu’il faut en profiter. Je presse un peu Céline qui prend son temps et semble amusée par ce vent puissant et impressionnant. Mais je reste inquiet. Les prévisions météo ne sont pas fiables. Et nous ne sommes pas à l’abri d’un coup de vent soudain lorsque nous serons au beau milieu de notre étape. Il ne faut pas tarder. Céline rassemble ses affaires. Elias et Philip, devant leur petit-déjeuner, rient lorsque je viens les saluer en disant « nous sommes prêts. Enfin non… JE suis prêt ! ». Céline est toujours dans le dortoir en train s’échauffer. Moi, ça fait 4 heures que je suis levé. Je tourne en rond comme un lion en cage. Je suis chaud ! Il faut partir.

Céline

Nous saluons tout le monde et quittons Alesjaure dans le blizzard. Dominique avait raison, dès que nous arrivons dans la vallée, il y a beaucoup moins de vent, parfois il se montre par rafale et bientôt plus du tout. Le soleil fera même son apparition. Le paysage est agréable et changeant. On y voit davantage de végétation et de la pierre. Je grignote ma viande de renne régulièrement, plus efficace que les petits gâteaux. Au loin derrière nous, nous apercevons 2 skieurs en approche. Bientôt, nous les devinons. Ce sont Elias et Philip. Ils nous rejoignent le sourire aux lèvres, quel plaisir de les voir ici, surtout Elias qui pensait abandonner. Ils nous expliquent qu’ils se sont motivés après qu’un des trekkeurs soit parti voir dans la vallée si le vent faiblissait. Il est revenu en disant que c’était OK.

Nous reprenons la route tous ensemble. Ils ne vont pas plus vite que nous en ski. Bientôt c’est Hagrid et ses attelages qui nous dépassent, il nous salue d’un geste de la main et nous crie de passer sur ses traces pour rendre notre chemin plus facile.

Nous arrivons à Tjäktja dans l’après-midi. Nous retrouvons aussi Laurie et Michel, les auvergnats qui sont arrivés hier et sont restés au refuge aujourd’hui à cause du blizzard.  Nous faisons plus amples connaissances. Laurie a une trentaine d’années. Elle est guide de moyenne montagne voilà pourquoi elle ne semble jamais fatiguée. Michel a 67 ans, ils font partis du même club de ski alpin. Ils ont l’habitude de partir faire des treks ensemble. Michel est un bon vivant, drôle de ses expressions auvergnates.

Nous sommes étonnés parce que pour avoir de l’eau ils ont fait fondre de la neige. Ils nous expliquent que le point d’eau est loin et qu’on manque de se tuer chaque fois pour puiser l’eau ! Dominique, Elias et Philip sont téméraires et s’y rendent. En effet, le point d’eau se trouve sous un pont. Il faut le traverser et descendre dessous. Le trou est bien là mais l’eau se trouve à 3 mètres de profondeur. Il faut y lancer un seau, le faire immerger avec un bâton en s’allongeant à même le sol pour gagner de la profondeur, remplir le seau et le transvaser dans le bidon à l’aide de l’entonnoir, repeat X3 ou 4 ! C’est assez périlleux en effet.

Le refuge de Tjäktja est petit. Il n’y a ni sauna, ni épicerie. La soirée se passe dans la bonne humeur. Elias me demande si je peux l’aider en me montrant une plaie qu’il a sur le tibia. Comment a-t-il pu marcher avec une telle blessure ? Il faut dire que nous avons tous des pansements et bandes de silicone plein les pieds, sauf Dominique qui n’a pas une plaie ! Je pense que c’est à ça qu’on reconnaît les vrais aventuriers, à l’état des pieds ! Avec Laurie et Michel, nous rassemblons du matériel pour soigner Elias. Ce garçon a le regard tendre et toujours le sourire enfantin, il dégage une grande sensibilité. Il nous remercie mille fois de l’avoir soigné. Dominique lui donne aussi une bande de silicone pour que sa chaussure ne frotte plus sur sa plaie. « Si ça fonctionne, dit-il à Dominique, je te donne du chocolat ce soir ! ».

Comme chaque soir, j’envoie un petit message à mes enfants et à Joseph via le téléphone satellite. Quand nous rallumons le téléphone le lendemain, je reçois leur réponse et ça fait du bien de savoir que tout se passe bien pour eux.

La soirée est sympathique. Nos camarades de refuge posent beaucoup de questions à Dominique sur le Groënland et ses expéditions.

Je comprends de mieux en mieux les conversations, Dominique ne me traduit plus automatiquement. Mon anglais revient peu à peu. Nous sommes un petit groupe autour de la table ce soir et je suis étonnée de voir autant de randonneurs qui voyagent seuls. Je leur fais part de ma surprise. Tous s’accordent à dire que partir seul ne signifie pas voyager seul. La preuve ! Toutes ces rencontres au fil des jours, ces échanges sur l’expérience que nous vivons, certains aguerris d’autres novices, tout cela rassemble et unit.

Nous allons dormir, demain nous partons pour Sälka et nous devrions découvrir les plus grands espaces dont parlent si souvent Dominique.


Jour 5. Sälka. 12 km

Céline

La nuit a été bonne mais courte. A 4h du matin, il fait déjà très clair dehors, le soleil reste longtemps proche de l’horizon avant de se lever. Les rideaux du refuge laissent passer la luminosité et je n’ai pas pris de masque de nuit.

A 9h, nous sommes prêts à partir. Je suis maintenant bien habituée à mon matériel. Dans les premiers jours, Je mimais les gestes de Dominique qui sont assurés et rapides. Les miens étaient plus maladroits et forcément plus lents. Chaque jour, il faut ranger sa pulka en l’ordonnant toujours de la même manière. L’ouvrir, la charger, la refermer, manipuler toutes les fermetures avec les sous-gants rapidement pour ne pas se geler les doigts. Ranger sa parka, mettre la veste de marche, enfiler le harnais, chausser les raquettes et enfin s’atteler à la pulka. Et ne rien oublier dans le refuge.

Nous démarrons l’étape par 4 km d’ascension. En haut, il y a une cabane comme celle de Radunjarga. Nous nous y arrêtons pour prendre un petit café. Et nous ne sommes pas les seuls. Elias et Philip sont là, puis Laurie et Michel nous rejoignent. Dans le sens inverse, arrivent une suédoise et un allemand. Cette petite pause est très sympa. Elias est tout blanc. Il nous dit qu’il a « encore » un problème ! Il nous fait rire. Il a mal au ventre, la nausée et ne sait pas s’il doit manger. Je lui tends du chocolat noir. Philip rigole et lui dit que c’est LE remède !

Il est temps de reprendre notre marche. Et là, ça descend jusqu’au refuge nous dit Dominique, bonne nouvelle. Peu à peu nous découvrons un paysage incroyable, grandiose, on peut voir à des kilomètres. Le soleil est sorti.

Dominique

Je n’avais pas noté cette montée sur ma carte. Un bel effort pour arriver au col et faire une pause dans cette cabane. Le poêle est encore chaud. Visiblement, elle a été occupée cette nuit. Qu’est-ce que c’est sympa de se retrouver tous ici pour une pause. On y aurait passé la journée je crois. Mais il nous faut repartir. La route est encore longue même si, techniquement, ça devrait être assez facile. Et en prime, une météo parfaite pour admirer ces grands espaces. Nous sommes en altitude. Nous dominons cette nouvelle vallée qui nous attend. Devant nous, le soleil nous offre un halo. Un immense cercle se forme autour de lui, créé grâce aux particules de glace en suspension dans l’air et sur lesquels les rayons du soleil se reflètent. C’est fantastique. Nous laissons passer des traineaux à chiens qui sont en sens inverse, dans la montée. Pour entamer la descente, nos amis skieurs s’en donnent à cœur joie et se lancent dans la pente en faisant de belles glissades. Céline et moi sommes en raquettes. C’est un peu frustrant de ne pas pouvoir glisser de la même manière. En tout cas, ça se passe comme ça lorsque je suis seul. Je suis toujours dans la mesure du risque. Mais ça, c’est sans compter sur les idées de Céline…

Céline

Je tente de m’assoir sur ma pulka pour faire une petite descente. Dominique me dit que je risque de tomber mais je suis téméraire alors je tente et ça marche ! Je suis surprise de voir Dominique s’installer à son tour sur sa pulka. Et nous voilà partis à faire des descentes en luge ! Nous rions beaucoup. Les pulkas sont incontrôlables ! Des kilomètres de descente c’est quand même bien sympa. Nous reprenons enfin notre sérieux et nous poursuivons notre route. La fin de l‘étape est difficile, ce petit jeu nous a fait consommer beaucoup d’énergie.

Arrivés à Sälka, nous retrouvons tout le monde. C’est un petit refuge mais il y a un sauna et une épicerie. Nous prenons un café et des petits gâteaux mais je n’arrive pas à me réchauffer. Je me sens malade. Je vais me coucher mais ça ne va pas, j’ai la nausée. Dominique me dit que lui aussi est malade. Aïe, notre repas du midi n’est pas passé. J’avale tous les médicaments que j’ai. Au refuge, il y a 4 allemands. La femme s’appelle Briggita, elle parle un peu français. Elle me donne un médicament pour ne pas vomir, le seul que je n’avais pas. J’ai les jambes coupées et j’ai tellement froid. Les toilettes sont loin, Dominique m’y emmène pour que je vomisse. Je ne tiens pas bien debout. Je reviens, me couche. Les filles partent au sauna…sans moi. Les garçons viennent me voir les uns après les autres. Je crois qu’ils ont tous pitié ! Je dis à Elias que c’est moi maintenant qui suis malade ! Il compatit grandement. Dom va me chercher un coca à l’épicerie et j’en avale quelques gorgées. Je ne sortirai plus de mon lit jusqu’au lendemain. J’entends la soirée se passer sans moi, les rires, les longues discussions, je suis déçue de ne pas la partager avec eux. Je m’endors avec un seau à mes côtés.

Dominique

La soirée est compliquée. J’ai eu mal au ventre en arrivant, mais c’est passé. Pour Céline, en revanche, c’est beaucoup plus compliqué. Je suis inquiet. Elle est vraiment mal. Comment va se passer la nuit ? Et demain. Que faire si elle est toujours dans cet état ? Et si elle ne mange pas ? Nous avons toujours notre demi-journée « joker ». Et nous avons également appris que la dernière étape, de Kebnekaise à Nikkaluokta, peut se faire en taxi-motoneige. Mais il nous reste encore une trentaine de kilomètres à faire pour arriver à Kebnekaise. De nouveau les doutes, les interrogations, les plans…

Céline finit par s’endormir, emmitouflée dans son sac de couchage, un seau qui sert aux eaux usées au pied de son lit.

Dans la soirée, nous avons eu les prévisions météo. Le vent qui a commencé à souffler fort ce soir devrait continuer demain matin. Retour au calme dans l’après-midi. La soirée se passe autour des bougies. Nous parlons beaucoup du Groënland qui intrigue mes compagnons d’aventure. Ils me bombardent de questions. J’y réponds avec plaisir. Nous philosophons autour des treks engagés comme le sont la Kungsleden et les balades au Groënland. Est-ce dangereux ? Quels sont les risques ? Ai-je parfois peur ? En fait, tout est une question de mental. Quel est le niveau de risque qu’on peut accepter ? Je prends pour exemple ceux qui ne prennent pas l’avion par peur du crash. Je charrie Elias qui, loin d’avoir cette crainte, est venu de Suisse à Abisko en train ! Nous rions encore beaucoup ce soir-là. D’ailleurs, il a tenu sa promesse. Dans la soirée il m’a tendu une tablette de chocolat en me disant que la bande de silicone est vraiment efficace.


Jour 6. Singi. 13 km

Dominique

Le vent a soufflé toute la nuit et il souffle encore très fort à mon réveil. Je jette un œil sur le lit en-dessous du mien. Céline dort. Dans la soirée d’hier, j’avais pris la décision que nous ne partirions pas avant midi. D’une part, la météo n’est pas favorable et en plus, Céline a besoin de repos. Je la laisse dormir. Lorsqu’elle sera levée, on fera le point sur son état de santé et sa capacité à marcher ou non. Et nous aviserons.

Céline

Dominique ne m’a pas réveillée. Il est 9h30 quand j’ouvre les yeux. Il y a du blizzard, nous ne pouvons pas partir. Je me sens mieux. Je me lève et tous les regards se tournent vers moi, interrogatifs. Je vais bien. Je petit-déjeune au coca et biscottes Wasa. Dom me dit que nous pourrons partir à midi si j’en ai la force après avoir mangé. Lui va mieux aussi. Je fais une petite toilette et je me prépare pour me rendre à l’épicerie. Je veux un autre coca et du riz blanc, j’ai vu qu’ils en vendaient.

Laurie et Michel décident de rester au refuge aujourd’hui. Elias nous dit qu’il serait sûrement plus sage de rester là mais il est trop motivé pour s’arrêter. Je vois qu’il est très fier d’être arrivé jusque-là.  Philip veut partir aussi. Dominique et moi n’avons pas trop le choix d’avancer car nous avons un avion à prendre et nous avons seulement une demi-journée de rabe.

Je mange mon riz, un peu de viande de renne que j’ai rachetée aussi et du coca. Je remercie Brigitta qui m’a aidée hier soir, nous quittons Laurie et Michel et à midi nous prenons la route. Le blizzard souffle encore mais il faiblit laissant le soleil nous chauffer le visage.

Je n’ai pas une grande énergie mais j’avance. Le paysage est sensationnel, j’ai l’impression d’être sur la lune, toute blanche. Aucune trace d’espèces vivantes, pas de végétation. Que du blanc à perte de vue. La neige est épaisse, peu damée, la marche est assez difficile mais le spectacle est tellement beau que ça nous fait oublier la fatigue.

Dominique

Alors que les garçons sont partis dès 11h, nous disons au revoir à Laurie et Michel. Nos routes se séparent ici. La piste balisée passe sur le flan du massif, à gauche de la vallée. Le parcours est vallonné. Je propose à Céline d’emprunter le lit de la rivière. J’avais demandé confirmation auprès de notre gardienne pour m’assurer que la voie est praticable. Le terrain est totalement plat, mais aucune trace ne nous aide. Si la première partie du parcours était agréable et facile, poussés par un petit vent arrière et les pulkas glissant sur une neige dure, la suite est plus fatigante. Nous avançons bien, mais dans un petit effort permanent. Je passe devant Céline pour faire la trace. Nous faisons souvent des pauses pour observer le paysage. Par endroit, la rivière est visible. La glace est fragile. Par imprudence en voulant m’approcher d’un trou où l’eau vive circule, mes raquettes s’enfoncent dans la neige et traversent la glace. Mes chaussures sont mouillées mais l’eau n’est pas entrée dedans. Note à moi-même : ne pas s’approcher des trous ! En cours de route, nous apercevons les croix rouges d’un balisage qui partent vers la droite, entre deux massifs. Par acquis de conscience, je contrôle la carte et la boussole pour m’assurer que la fatigue ne me joue pas des tours. C’est bien un autre parcours qui part par là. Nous conservons notre cap au sud.

Des motoneiges passent dans notre secteur. Nous nous déroutons légèrement pour rejoindre leurs traces. Et ce paysage, toujours incroyable ! Nous sommes seuls au monde. Entourés de massifs majestueux. Un peu plus de roches que sur les étapes précédentes. On adore. Nous arrivons à marcher côte à côte par moment. C’est plus sympa.

Céline

Nous arrivons à Singi à 17h. Elias et Philip nous attendent. Ils sont allés chercher de l’eau apparemment très loin. Nous prenons un verre de Lingon. J’ai mal partout, des étirements s’imposent. Nous passons une très bonne soirée avec eux. J’apprécie d’autant plus cette soirée car je sais que c’est la dernière à la bougie. Demain, nous retrouvons l’eau courante, l’électricité et du réseau téléphonique.  J’ai vraiment l’impression que je vais perdre quelque chose alors que nous allons tout regagner…

Dominique

L’accueil dans ce refuge est plutôt étrange. Voire glacial. La gardienne nous demande de ne pas allumer les poêles dans les chambres parce que le bois coûte cher. Mais il fait froid et nous nous empressons d’ignorer les consignes et allumons du feu ! Une petite équipe de suédois arrivent et prend la troisième chambre. Ils font pareil. Tous les poêles sont allumés. Dans la soirée, la gardienne et son fils qui semble fatigué de la vie (parler le fatigue) entrent et parlent entre eux comme si nous n’existions pas. Ce n’est pas pour prendre des nouvelles ou nous donner les prévisions météo (« vous les aurez demain matin à 7h30 ! »), mais pour faire une inspection. Réprimande en voyant les poêles allumés. « Le bois coûte cher ! ». Mais comme le dit Elias, les nuitées aussi ! Bref, tous deux s’en vont sans même nous souhaiter une bonne nuit. Nous en rions.


Jour 7. Kebnekaise. 15 km

Céline

Je me réveille bien courbaturée et fatiguée. J’ai dormi sur une planche tellement le matelas était usé. J’appréhende cette étape. Dominique m’a dit qu’elle était assez difficile car nous traversons une vallée étroite où nous sommes entourés de hauts sommets. A mon réveil, Dominique me dit que le temps est couvert et qu’il y a du vent mais la bonne nouvelle (car Dom a toujours des bonnes nouvelles !), le vent est dans notre dos !

Nous prenons le petit déjeuner et c’est l’heure de dire au revoir à Elias qui a décidé de rester aujourd’hui au refuge. Il préfère se reposer. Philip, lui, est déjà parti. C’est un au revoir très émouvant. Nous quittons un compagnon de route que nous ne reverrons probablement jamais. Elias est un garçon attachant, d’une grande sensibilité et plein d’humour. Il aura marqué notre aventure.

Nous prenons la route et débutons une bonne grimpette de plusieurs kilomètres. Le vent souffle fort dans notre dos, ça me frappe derrière la tête malgré la capuche. Il fait très froid ce matin. Nous amorçons ensuite la descente entre deux grands massifs. Ce couloir est glacial et assez lugubre.  Nous avançons sans faire de pause, comme si nous voulions sortir de là au plus vite. Je commence à avoir mal à la tête.

A midi, on s’arrête manger très rapidement, il fait trop froid pour prendre le temps. Je mange seulement la moitié de mon plat chaud. Je n’ai pas d’appétit. Nous repartons, le vent souffle toujours. Je décide de prendre des médicaments pour ma tête qui me fait toujours mal. Dominique a une belle énergie comparée à moi. Il s’arrête souvent pour m’attendre.

Dominique

C’est la troisième fois que je passe dans cette vallée. Je l’ai faite en hiver lors de mon premier trek en 2012, dans un white-out désagréable, et la seconde en été, sous un ciel couvert. Je sais qu’elle n’est pas très agréable. La longue montée au départ de Singi est plus facile que prévu. Céline a pris un bon rythme et les cales des raquettes aident à monter. Nos pulkas sont aussi plus légères qu’au départ de notre aventure, allégées par la nourriture que nous avons consommée. Mais en arrivant au col, nous sommes dépassés par de nombreux chiens de traineau qui labourent littéralement la piste. Les raquettes s’enfoncent et les pulkas changent de sillons en permanence créant des frottements qui nous freinent. Nous avons plus de 10 km de descente douce devant nous, mais nous tirons continuellement. Je me retourne souvent. Céline est toujours 10 mètres derrière moi. Elle n’arrive plus à coller à ma pulka comme les jours précédents. Et impossible de marcher côte à côte sur cette piste.

Céline

Nous avons enfin le refuge en vue. Nous marchons encore longtemps et ça cogne dans ma tête, les médicaments ne font pas leur effet. Je sais qu’avant d’arriver à la station de Kebnekaise, il y a une longue côte en colimaçon assez rude. Nous faisons peu de pauses. Avancer, c’est tout ce qui compte, sortir de cette vallée… La fatigue m’empêche de réfléchir, j’avance comme un robot (un robot qui a mal à la tête). Cette montée me demande de puiser dans mes dernières ressources. Mon rythme se ralenti, chacun de mes pas consomment mes dernières réserves. Ma pulka me tire en arrière, je dois redoubler d’effort pour avancer. Un attelage de chiens nous double mais je les vois à peine, j’ai la tête qui tourne. Je vois le refuge qui doit être à 300m mais je sens ma force mentale m’abandonner. Je n’en peux plus. J’ai l’impression que ma pulka pèse une tonne.

Dominique

Dans la montée qui mène à la station de montagne, j’attends Céline, épuisée par ce dernier effort. Je lui demande de se mettre sur le côté pour laisser passer les chiens de traineau qui arrivent derrière nous. Elle fait un pas sur le côté mais sa pulka reste au milieu du passage. Les chiens arrivent. J’insiste : « Céline, ta pulka, mets-là à côté ! ». Elle tire sur le cordage pour ramener la pulka vers elle. Les chiens passent. Je prends leur sillage. Me retourne pour voir si Céline suit.

Céline

Je sens mes larmes monter. Je suis épuisée. J’ai la nausée, mes pieds n’avancent plus, je m’effondre. J’appelle Dominique qui vient à mon secours. J’aurais dû l’appeler avant mais je n’arrivais plus à réfléchir. Il attelle tout de suite ma pulka à la sienne. Je reprends mes esprits et Dominique monte ces derniers mètres avec les 2 pulkas. Je le suis. Nous entrons dans ce grand refuge qui nous coupe du vent. Ça me soulage et je me reprends assez vite.  Dominique est toujours aussi bienveillant. Il tente de me réconforter en me montrant qu’il y a du chauffage et de la lumière. Je vois une affiche au mur « code WIFI ». Cette fois, c’est le retour à la civilisation. Cela fait du bien et en même temps je suis très nostalgique des jours passés. J’ai retrouvé le sourire.

Le refuge est superbe. Il y a des petits salons cosy avec des cheminées. Il y aussi un restaurant. Les dortoirs sont à l’étage. Les douches (oui des douches !) et le sauna sont dans un bâtiment plus haut avec une cuisine commune.

La station du Kebnekaise est au pied du plus haut massif de Suède, le Kebnekaise culminant à 2106 m d’altitude. Cette station est très fréquentée par les skieurs. Nous nous installons dans notre dortoir. Quelques petits gâteaux pour reprendre des forces et direction la douche et le sauna. Je crois que plus l’effort est intense plus la récompense du confort (on n’est pas à Koh Lanta !) est appréciée. Nous retrouvons Philip dans le refuge. Parlant du confort de cette station de montagne (eau courante, électricité, téléphone), il nous dit qu’il a tout testé ! Il nous explique qu’il fera la dernière étape en taxi motoneige car il doit prendre son bus pour Kiruna à midi.

Après une bonne douche et un sauna, Dominique m’offre un dîner au restaurant. C’est un sacré confort que j’ai gagné là ! Merci à mon grand-frère ! Je passe un appel à ma petite famille. Quel plaisir de les entendre tous !

Après dîner, Dominique fera un petit tour dehors (que je n’ai pas la force de faire) pour voir s’il y a des aurores ce soir. La nuit est claire mais l’activité solaire est faible ces jours-ci c’est pourquoi nous ne voyons pas d’aurores.

Avant de dormir, je checke l’état de mes pieds, j’ai une ampoule grosse come une pièce de 2 euros sur le talon. Je la soigne. J’appréhende la dernière étape de demain qui fait 19 km… Demain est un autre jour. Allons dormir.


Jour 8. Nikkaluokta. 19 km

Céline

Je me suis battue toute la nuit avec mon matelas. Je ne sais pas si ce sont les lits qui sont de moins en moins confortables ou mon corps qui est de plus en plus fatigué. Nous partons prendre le petit-déjeuner dans la cuisine collective. Cette dernière étape est longue mais sans dénivelé donc plutôt facile me dit Dominique. Il fait encore très beau aujourd’hui et pas très froid -5°C. Je suis en forme malgré la nuit agitée.

Avant de quitter Kebnekaise, nous allons dire au revoir à Philip. Nous quittons notre dernier compagnon de route.

Entre Kebnekaise et Nikkaluokta, il y a une grande piste damée pour les taxis motoneiges qui relie les deux refuges. Nikkaluokta est un village Same abritant une seule famille, les Sari. En plus de l’élevage de rennes, ils ont diversifié leur activité en bâtissant un grand refuge pour les randonneurs et les skieurs qui partent en motoneige pour la journée à la station de Kebnekaise.

Nous prenons la route sur une piste large, facile et déserte de randonneurs. J’ai l’impression que nous sommes les seuls à partir à pied. Nous avons fait déjà quelques centaines de mètres, nous discutons côte à côte quand soudain je vois devant moi un renne qui traverse la route. J’ai l’impression de rêver, Dominique me dit de me baisser pour ne pas le faire fuir. Il est suivi par un petit groupe, ils sont neuf. Ils traversent devant nous et s’arrêtent brouter. C’est un vrai cadeau qu’ils nous font là. Nous les photographions et restons un moment à les observer. Une motoneige arrive. Nous nous éloignons de la piste pour la laisser passer. C’est Philip qui se trouve dans la remorque, nous le saluons.

Après ce beau moment de contemplation, nous reprenons la marche. Le paysage est changeant, nous retrouvons la taïga que j’aime beaucoup. Le déjeuner est très agréable, sous le soleil. On en profite pour faire de belles photos. Au loin, le cœur de la Laponie se dessine dans le massif. Et au milieu de ce cœur, une grande cascade gelée.

Dominique

Je ne me souvenais plus de la beauté de cette étape. Nous sommes toujours dans de larges espaces. Et malgré le retour progressif de la taïga, le regard porte loin. Derrière nous, nous verrons longtemps le Duol Gaborni, ce massif en forme de chaudron situé derrière la station de Kebnekaise. Nous ferons beaucoup de photos durant cette étape. La météo est toujours radieuse. Nous serons même obligés de retirer nos vestes polaires dans l’après-midi. Nous prenons le temps de déjeuner. Nous profitons de cette dernière étape. Et cette fois-ci, Céline semble plus en forme que moi. Sur la fin de journée, je sens la fatigue peser.

Céline

Bientôt, nous arrivons près des parcs de rennes où ils sont triés l’été. En hauteur, nous apercevons une chapelle. Le village de Nikkaluokta est à quelques centaines de mètres maintenant. Dominique me montre l’arrivée, nous y sommes, au terminus de notre périple ! 110 km à fouler cette neige lapone. Quelle satisfaction et quelle joie d’avoir partagé ça avec Dominique.

Nous avançons dans le village same et découvrons le refuge de Nikka. Je suis impressionnée par la beauté des lieux. Il y a un bâtiment principal où il y a l’accueil, le restaurant et un espace boutique. Des bois d’élans ornent les murs ainsi que des portraits Samis.

Autour de ce bâtiment il y des petits bungalows. Nous nous installons dans le nôtre. Je suis surprise, il n’y a pas d’eau courante. Le point d’eau est dans une autre cabane. Je suis presque contente de revivre ça, quel étrange sentiment… Dans cette cabane, il y a aussi la douche et le sauna. Je me rends au sauna et là, je retrouve avec surprise Briggita, cette allemande qui m’avait aidée à Tjäktja le soir où j’ai été malade. Ils sont arrivés en taxi de Kebnekaise avec ses 3 amis. Ensemble, nous faisons le bilan de ce trek. C’était une première pour elle aussi. Elle me montre avec une grande excitation le robinet et fait couler l’eau en me disant qu’on a tellement de chance d’avoir ça chez nous. Elle me montre aussi la lumière, la douche, oui, tout ce qu’on a si facilement. Elle me dit qu’elle a beaucoup souffert pendant ce trek. Mais ce qu’on gagne dans cette aventure c’est la prise de conscience du monde dans lequel nous vivons et cette nature qui nous entoure qu’on ne regarde plus. Briggita avait vécu les choses comme moi. Elle aussi se sentait nostalgique comme si nous avancions maintenant à reculons. La civilisation me paraissait perturbante, agitatrice. Je regrettais les soirées à la bougie qui sont d’une grande douceur pour l’âme, les sourires, les rires et la bienveillance de nos compagnons de route. Les efforts, le dépassement de soi, les larmes et le réconfort d’un verre de Lingon. Tout ce chemin parcouru aux côtés de mon grand frère sans qui je n’aurais jamais connu cela. Je ne le remercierai jamais assez d’avoir eu confiance en moi pour m’emmener dans cet univers hostile et si magique. Les émotions que nous ressentons quand nous sommes loin de nos proches sont démultipliées. Les galères partagées et l’entraide qu’on trouve dans ces aventures nous marquent si fortement. Briggita était animée par ses souvenirs et me racontait son aventure. Nous restons un moment à discuter ensemble en partageant nos émotions.

Je rejoins Dominique au bungalow et nous dînons cette fois en tête à tête en faisant ce chouette bilan. Je prends mon cahier sur lequel j’écris ces derniers mots. Demain nous prendrons le chemin du retour.

Je ne pourrai pas conclure sans vous raconter que le lendemain matin au petit déjeuner que nous avons pris au restaurant du refuge, nous avons retrouvé avec la plus grande joie Eva et Anne, nos deux amies suédoises que nous avions quittées à Alesjaure, souvenez-vous. Elles étaient restées une journée de plus là-bas à cause du blizzard et ont repris la route ensuite. Elles viennent d’arriver en motoneige à Nikka. Nous prendrons le même bus pour rejoindre Kiruna et sur la route du pays des merveilles, nous avons croisé là deux élans… Ainsi s’achève la magie de cette aventure.

Dominique

Quel bonheur d’avoir fait cette aventure. Céline parle de magie. C’était fabuleux. Forcément, nous n’avons pas vécu l’aventure de la même manière. Elle découvrait tout. Un long trek dans des conditions particulières ; marcher avec des raquettes et tracter une pulka ; un environnement incroyablement beau mais Ô combien hostile ; le paradoxe entre l’isolement et la fraternité entre les trekkeurs. Pour ma part, l’inquiétude de ne pas prendre trop de risques lorsqu’il faut se lancer sur la piste dans le blizzard ; s’assurer que tout se passe bien et surtout, le plaisir de partager ce que je vis régulièrement dans mes voyages.

Les inquiétudes du départ sont définitivement levées. Céline avait bien sa place sur la Kungsleden. Le mental fait toute la différence dans ce genre d’aventure. Et ce mental, Céline l’avait. De tous ceux avec qui nous avons sympathisé, nous sommes les seuls avoir fait la dernière étape à pied. Et les seuls en raquettes sur cette Kungsleden. Nous en sommes assez fiers !

Comme souvent dans les conclusions de mes roadbooks, j’ai une pensée pour toutes les personnes que nous avons croisées. Ces rencontres sont brèves. 3 jours. Peut-être 4 voire 5 jours parfois. Mais c’est un véritable déchirement lorsqu’il faut nous séparer. Nous garderons un souvenir profond de toutes ces personnes.

Anne, Eva, Briggita, Elias, Laurie, Michel, Philip, et tous les autres…

Céline, Dominique

2 messages

  • ADEVAH Michel

    11 décembre 2023 à 18 h 27 min

    Bonjour Céline, et Dominique,
    je tombe sur votre vidéo et les articles.
    Mais quels souvenirs merveilleux et de les revivre à nouveaux via vos publications.
    On se prépare pour repartir mais cette fois avec la maman de Laurie qui souhaite découvrir la laponie, elles seront toutes le 2 en raquettes comme vous l’an passé, et moi en ski mais avec une pulka (je devrais être moins fatigué ….ça ma fait rire)
    L’auvergnat qui a des anecdotes du terroir, je vois Laurie dans la semaine et lui donnerai les liens
    Bises à toi et à Dominique
    votre pote du nord, Michel

  • Bérangère

    12 mai 2023 à 20 h 53 min

    Dominique, Céline,
    Comme d’habitude je suis fan du récit de tes aventures mais cette fois tu étais bien accompagné !
    C’est vraiment génial que vous ayez partagé ça ensemble 😍
    À bientôt

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