Laponie 2021

Juillet 2021

Après une période très particulière pour la planète, je ne tiens plus en place. J’ai eu beaucoup de chance de pouvoir partir au Groënland l’an passé, juste avant le 1er confinement en France. Je suis rentré le matin même du début du confinement, le 17 mars 2020 sans avoir à écourter mon séjour comme d’autres ont dû le faire.

Après ce voyage au pays des Inuits, je voulais m’accorder une pause dans mes voyages hivernaux. Je souhaitais faire un voyage durant mes congés d’été. La crise sanitaire et les difficultés de voyager n’aident pas vraiment les préparatifs. La Suède a eu une politique sanitaire très… light semble-t-il. Les frontières ne sont pas fermées. C’est en mai que je réserve donc mes vols. Départ le 11 juillet (je risque de manquer la finale de l’Euro de foot !), retour le 25 juillet. 

Avant le départ

Mon itinéraire est bouclé. Enfin, en partie. La première moitié du trek est tracée. Quant à la suite, j’ai plusieurs options. Tout dépendra de ma vitesse d’avancement et peut-être aussi des décisions norvégiennes pour l’ouverture des frontières. Je n’exclus pas, le cas échéant, de faire un crochet chez les voisins de la Suède, jusqu’à Narvik, et prendre un train pour rentrer à Kiruna qui sera, une nouvelle fois, mon point de chute en Laponie. Voici la carte avec les tracés prévus :

  • Départ : Årosjakk
  • Tracé rouge : première partie quasiment figée à ce jour. Ravitaillements possibles à Alesjaure et Unna.
  • Tracé jaune : arrivée à Narvik en Norvège (selon contraintes sanitaires du pays)
  • Tracé vert : arrivée (ou simple étape) à Riksgränsen
  • Tracé bleu : arrivée à Abisko s’il me reste du temps.

COVID : au moment où je réserve mes billets d’avion, il faut un test PCR pour entrer en Suède (gratuit depuis le France) et la même chose pour rentrer en France. Et là, le test, en Suède, coûte 250€. Ça pique un peu ! Donc j’espère que l’Europe va se mettre d’accord autour du pass sanitaire et que la preuve d’une vaccination permet de s’affranchir des tests.

1er Juin. A moins d’un mois du départ, je me creuse la tête avec l’alimentation. C’est plus compliqué qu’en hiver lorsque toute la charge à balader se trouve dans un traineau. En été, je dois porter un sac à dos. Il faut trouver le bon compromis en calories et poids. J’ai 2 voire 3 ravitaillements possibles (Alesjaure, Unna et Riksgränsen). Mais là, je ne pourrai compléter qu’en petits déjeuners (biscottes Wasa) et petits gâteaux. Pour les repas du soir, je prévois du lyophilisé. Quant aux repas du midi, je sais que la pluie peut être de la partie rendant compliqué l’arrêt buffet… Donc peut-être qu’il faut prévoir quelques sachets lyophilisés pour les beaux jours et des petits gâteaux protéinés pour les jours de pluie. 

24 juin. Toutes mes affaires sont rassemblées. Il me reste à commander la nourriture et contrôler tout le matériel. 

1er juillet. Le pass sanitaire est désormais actif et je viens d’avoir la confirmation que la Suède et la France n’imposent pas le test PCR pour les voyageurs vaccinés. C’est une première bonne nouvelle.

Second point : la nourriture. Toujours un vaste sujet quand on part en trek, qui plus est avec un portage. Il faut charger le sac à dos en kilocalories mais pas en kilogrammes ! J’ai pris contact avec une société bretonne qui commercialise des repas lyophilisés. https://www.lyophilise.fr. Il y a des produits que je ne connais pas du tout. En discutant avec eux dans la semaine, ils m’ont proposé de tester 3 repas. Reçus aujourd’hui. Efficace et sympa ! Je teste ce soir…

La méthode de lyophilisation diffère d’une marque à une autre. Et le goût s’en trouve nettement changé. Certaines marques cuisinent les plats puis les lyophilisent, alors que d’autres lyophilisent les ingrédients et les mélangent ensuite pour composer le plat. Donc cette année je pars avec de nouveaux plats selon la première méthode de préparation. J’ai passé commande chez Lyophilié & Co. Quant aux repas du midi, j’opte pour des collations (gâteaux énergétiques). Je ferai donc 2 vrais repas par jour, le matin et le soir.

9 juillet. Le sac est presque bouclé. Je vais démarrer le trek avec 20 kg sur le dos. L’alimentation pèse lourd. Je ferai des étapes assez courtes les premiers jours et je prendrai le temps. Après tout, je suis en vacances !

Pour suivre ma trace, chaque soir j’enverrai un message via mon appareil satellite pour donner ma position. Visible sur la page Garmin.

Roadbook

De retour de ce trek de 9 jours (finalement, au lieu des 12 prévus). Je n’ai pas fait de roadbook au jour le jour comme pour les précédents voyages. Néanmoins, voici le récit et quelques informations qui peuvent servir à ceux qui voudraient faire une balade en Laponie Suédoise, un peu à l’écart de la Kungsleden, très fréquentée l’été.

L’itinéraire

Habituellement, grand nombre de randonneurs font la Kungsleden. La célèbre « Voie Royale » se fait entre Nikkaluokta et Abisko. Mais pour ce trek, je suis parti de Årosjåkk, petit hameau situé une vingtaine de kilomètres avant Nikkaluokta. J’avais pour objectif de remonter vers le nord pour couper la Kungsleden au niveau du refuge de Alesjaure, puis continuer le long de la frontière norvégienne jusqu’à Riksgränsen. Donc en gros, j’avais finalement opté pour les tracés rouge puis vert sur la carte faite pendant mes préparatifs. En cours de route, j’ai envisagé plusieurs options. A Alesjaure, l’idée de redescendre au sud vers Nikkaluokta m’est venue. Cette partie de la Kungsleden est vraiment très belle. Mais la météo s’annonçait mauvaise, donc aucun intérêt. Le lendemain, en arrivant à Unna Allakas, la gardienne du refuge me met en garde sur le passage d’un gué en direction de Riksgränsen. Deux randonneurs se sont fait une frayeur quelques jours auparavant en traversant le cours d’eau profond et à fort courant. Et là encore, une mauvaise météo sur ce parcours m’obligera à revoir mes plans et mettre le cap sur Abisko, ce que je n’avais pas prévu initialement. Voici donc le tracé définitif de ma balade avec les points GPS de mes campements :

La balade

Pour me rendre au point de départ que j’avais identifié sur la carte lors de la préparation de mon voyage, j’ai pris le bus qui relie Kiruna à Nikkaluokta. J’avais réservé mon billet à l’avance sur le site internet de la compagnie. Le chauffeur n’avait visiblement pas l’habitude de faire un stop dans ce hameau dont le nom ne lui disait rien. Après avoir consulté son GPS, nous avons pris la route. Nous étions une quinzaine de randonneurs dans le bus, dont un jeune lyonnais avec qui j’ai discuté le temps du trajet. Il était très enthousiaste à l’idée de faire son premier trek en solitaire et en autonomie. J’étais le seul à descendre à Årosjåkk. Il faut bien reconnaître que c’est un peu au milieu de nulle part. Quelques maisons en retrait de cette grande route où passent peu de véhicules. C’est calme. Je n’ai vu personne. D’un côté de la route, un grand lac tout en longueur qui s’étend sur plusieurs kilomètres, le Paittasjärvi. De l’autre côté, le versant d’un massif avec quelques maisons enfouies dans la taïga. C’est par là que se situait le départ de mon trek. 

J’ai longé la route sur 500 mètres pour rejoindre la piste. Piste marquée par une grande croix rouge au haut d’un poteau. Exactement comme le balisage d’hiver de la Kungsleden. Pratique pour se repérer. D’ailleurs, au cours de mon trek, je constaterai que tous les panneaux ont été remplacés depuis mon précédent trek dans cette région en 2014. Les anciennes balises en bois ont fait place à des croix en plastique rouge montées sur les piquets métalliques. Ces repères, distants d’une cinquantaine de mètres seulement les uns des autres, sont indispensables pour les motoneiges l’hiver, surtout les jours de blizzard où la visibilité est réduite. En arrivant en haut d’un col par beau temps, on peut voir la piste s’étendre à perte de vue dans une vallée.

Pour commencer cette aventure, je me suis rendu compte que je n’avais plus ma bouteille d’eau d’un 1/2 litre que j’avais placée dans le filet extérieur de mon sac à dos. Je n’aime pas l’idée d’abandonner une bouteille en plastique sur le bord de la route (si tant est qu’elle soit tombée du sac après la descente du bus). De plus, cette bouteille me sera bien pratique durant mon trek, même si j’ai une poche d’eau d’un litre et demi pour le camp. J’ai laissé mon sac au bord du chemin pour revenir sur mes pas jusqu’à l’arrêt de bus. Rien. Ma bouteille a dû tomber dans la soute à bagages du bus. J’ai donc dû faire sans cette bouteille et me débrouiller avec la poche d’eau. Donc voilà comment faire un faux départ… Je me suis mis en marche à midi.

Un point sur la météo

Côté météo, les deux premiers jours ont été très bien. Premier jour chaud et ensoleillé avec un petit vent de travers. Je me suis mis en short dès la sortie de la taïga. Très agréable. Le second jour, grand soleil. Il faisait même chaud. 24°C à mon petit thermomètre que j’avais emporté dans mes bagages. Mais il n’y avait pas un souffle d’air. Et dans ces conditions, c’est jour de fête chez les milliards de moustiques et de mouches qui peuplent la région. Et là, croyez-moi, si c’est le paradis pour les insectes, c’est l’enfer pour l’homme. Impossible de se mettre en short et en manches courtes. La moustiquaire de tête est indispensable ainsi que le produit répulsif pour les parties du corps exposées (mains, poignets, cou). En étant en mouvement, les insectes sont finalement gérables. Mais il suffit de s’arrêter pour boire pour contempler le paysage pour que, dans la seconde, un nuée se jette sur moi. Toute la journée je réclamerai du vent. Juste un peu de vent !

Le vent justement. Il est bien arrivé. Dans la nuit. Enfin la nuit… puisqu’il fait jour 24h/24 à cette saison (le soleil se couche vers minuit et se lève à 2h. La nuit n’a pas le temps de venir. Au troisième jour, alors que je savais que la pluie était annoncée, un vent assez fort me poussera durant la marche. Au moins, ce vent et les quelques averses de la journée ont mis fin à la fiesta des moustiques. Les jours suivants, le vent aura toujours été très fort (80 km/h annoncés avec des rafales encore plus violentes). Et ce vent, je l’ai eu de face durant deux jours. Difficile d’avancer. Il m’a fallu lutter contre les éléments, lesté d’un sac à dos très lourd.

La pluie a aussi été bien présente dans ce trek. Jamais une pluie forte, mais quelques bonnes averses cependant. Certains jours n’étaient pas trop désagréables. Je me souviens de l’étape entre Alesjaure et Unna Allakas ou quelques grains ont succédé à de belles éclaircies. Ce fût également le cas en remontant vers Abisko, mais cette fois au cœur d’une taïga détrempée. Le dernier jour, entre le refuge d’Abiskojaure et la ville d’Abisko, je n’ai pas vu le soleil une seule minute et la pluie ne s’est jamais arrêtée, ruinant ainsi toutes mes envies de continuer pour les 3 jours qui me restaient. 

Quant aux températures, les 24°C des premiers jours ont rapidement fait place à une ambiance plus fraiche. D’une part, la pluie et le vent ont fait que, naturellement, la température a baissé. Mais j’ai aussi pris de l’altitude en cours de route. Plusieurs passages à plus de 1000 mètres dont un col à 1308 mètres. J’ai relevé 5°C à ce col (entre Alesjaure et Unna Allakas). J’ai d’ailleurs dû mettre ma veste chaude dans ce secteur. Je portais déjà mon bonnet et mes gants depuis le départ du refuge. Un matin au réveil, j’ai noté 4°C. Ce qui fait une belle amplitude, obligeant à prévoir des vêtements chauds. Il faut prendre en compte que 1000 mètres en région subpolaire n’ont pas du tout les mêmes conditions météorologiques que dans nos massifs français par exemples. D’ailleurs, de nombreuses plaques de neiges, qu’on appelle des névés, subsistent. 

Sur 9 jours de marche, je n’ai eu que 2 vraies belles journées. 2 ou 3 jours de mauvais temps (pluie et vent). Le reste était tout en nuance. Pas top, mais acceptable. Pour avoir du soleil et de la chaleur en permanence, il faut aller faire un trek aux Seychelles ! En Laponie, il faut faire avec les éléments. 

Le paysage

Au cours de mon trek, j’aurai traversé des paysages magnifiques, et surtout, des terrains assez variés. Le premier jour, au départ de Årosjåkk, j’ai commencé par traverser une taïga. Cette « foret boréale » est essentiellement composée de bouleaux, de hautes herbes et de buissons. Le chemin de terre est parfois boueux au point d’être impraticable à pied. L’eau coule un peu partout et les quads ont labouré la piste. A plusieurs reprises j’aurai dû me faufiler à travers arbres et buissons pour éviter de m’enfoncer dans la boue jusqu’aux chevilles. 

La taïga, je l’ai traversée également en fin de parcours, entre Unna Allakass et Abisko. Durant pratiquement 3 jours, sous la pluie, cette végétation détrempée aura été vraiment pénible. Une journée, j’ai dû m’arrêter à quatre reprises pour vider mes chaussures et essorer chaussettes et semelles. Une journée entière à marcher avec les pieds mouillés. Heureusement, j’avais prévu une veste et un pantalon imperméables qui m’ont bien protégé le reste du corps. Mais l’eau coulait sur mes vêtements jusque sur mes chaussures. Ces journées en forêt ne sont ni agréables ni intéressantes. On ne voit pas le paysages et aucun animal. J’ai beaucoup cherché les élans, et malgré leurs nombreuses déjections en forme d’amande sur le parcours, je n’ai pas vu le moindre spécimen. 

Après la taïga, le paysage le plus courant aura été la toundra. Beaucoup plus agréable. La piste est souple et agréable à marcher. Le sol est fait de lichen et végétation rase. C’est aussi parfait pour planter la tente. C’est cette végétation qui recouvre la majorité du parcours entre Årosjåkk et Alesjaure. Lorsque le soleil l’éclaire, c’est un camaïeu de vert étonnant qui donne au paysage une singularité vraiment admirable. Sous les nuages, ce vert devient sombre et sinistre. 

Sur les hauteurs, autour de 1000 mètres d’altitude, j’ai traversé de longues coulées de pierres. Je me souviens de ces pierriers au Groënland en été 2017 qui avaient été mon cauchemar. Il faut prendre garde à ne pas glisser et éviter la chute. On peut facilement se blesser sur ce genre de terrain. Je me suis appliqué à assurer chaque pas avec l’aide de mes bâtons. Mon sac à dos n’aidant pas à garder l’équilibre. Un mauvais mouvement, et le sac pouvait m’emporter. Au Groënland lors d’une chute, j’avais eu le réflexe de me retourner pour tomber sur le dos, mon sac ayant amorti la chute sans gravité. Le plus dur avait été de se relever.

L’eau est présente partout sur le parcours. Dans les vallées comme sur les hauteurs. D’ailleurs, je ne porte pas une goute d’eau dans mes bagages. J’ai ma timbale accrochée à la ceinture de mon sac. Lorsque j’ai soif, il me suffit de me baisser au passage d’un ruisseau pour boire cette eau fraiche est saine. Il faut dire que, question glyphosate, c’est plutôt tranquille dans la région. Par moment, l’eau peut être légèrement teintée par la tourbe. D’ailleurs, à la station de tourisme d’Abisko, une affiche indique que l’eau du robinet est saine et que, dans un soucis de préservation de l’environnement contre le plastique, ils ne vendent plus de bouteilles d’eau. Néanmoins, il y a toujours de l’eau aromatisée dans les rayons…

Dans certaines plaines, j’ai traversé quelques marécages. Heureusement, pour les plus importants, la piste est aménagée avec des planches au-dessus de la végétation. Mais la piste que j’emprunte n’est pas la plus fréquentée et donc, pas la plus entretenue. Certaines planches pourries se sont affaissées à mon passage et je me suis retrouvé avec les pieds dans l’eau. Après quelques jurons, il m’a fallu m’arrêter une nouvelle fois pour vider les chaussures et essorer les chaussettes. 

Ces arrêts « déchaussages » comme je les ai appelés durant ce trek, ont été fréquents. Les cours d’eau sont nombreux et les ponts très rares. J’ai traversé plusieurs torrents d’une puissance incroyable. Mais pour ces passages dangereux, des ponts sécurisés sont installés. Ils sont d’ailleurs clairement indiqués sur la carte. Une chute dans ces torrents serait probablement mortelle tellement le courant est fort et l’eau froide. En revanche, pour tous les autres cours d’eau, il est souvent possible de traverser en marchant sur les pierres émergées en évitant de glisser. Malheureusement, il est parfois impossible de traverser « à sec ». A plusieurs reprises j’ai remonté puis descendu la rivière pour trouver un endroit pour passer sans déchausser. Et malheureusement, il m’a souvent fallu me rendre à l’évidence : ça ne passe pas. Il faut déchausser. Un jour, je passerai un moment à me faufiler à travers les broussailles en remontant une rivière assez large pour atteindre un endroit où il me semblait voir de nombreux amas de pierres avec l’espoir de pouvoir traverser. Après avoir traversé, je découvrirai que j’ai perdu mon petit drapeau tricolore qui était accroché à mon sac. C’était le 14 juillet. J’ai trouvé que c’était bête de perdre son drapeau le jour de la fête nationale. Alors, comme pour la bouteille d’eau du départ, je poserai mon sac pour retraverser la rivière, revenir sur mes pas et essayer de retrouver mon drapeau. En vain. Je suis à peu près certain que c’est dans ces broussailles qu’il s’est accroché, mais je ne l’ai jamais retrouvé. Et au final, malgré tout ça, j’avais dû me déchausser pour traverser. Et bien sûr, je me suis rendu compte de la perte de mon drapeau après m’être rechaussé. Je pense que j’ai perdu une heure dans ce coin. 

Le passage des rivières les pieds dans l’eau c’est toujours une épreuve. Imaginez, il faut poser le sac à dos. Retirer les chaussures (le laçage des chaussures de randonnées montantes est un peu plus compliqué que pour des baskets), retirer les chaussettes et la bande que je porte à une cheville depuis le début du trek, enfiler les sandalettes, remonter les jambes du pantalon tout en chassant les moustiques pour qui, pendant ce temps, le buffet à ouvert à volonté ! Je noue les chaussures l’une à l’autre par les lacets et les passe autour du cou. Je monte le sac sur le dos. Et c’est parti. Une fois de l’autre côté, il faut faire l’opération inverse. Séchage, moustiques, bandage, moustiques, chaussettes, chaussures, moustiques, moustiques, moustiques… Bon, les jours de mauvais temps, seuls les moustiques les plus téméraires attaquaient. Et tout ça, parfois pour quelques mètres seulement. Mais c’était ça ou se retrouver avec les chaussures gorgées d’eau pour les jours suivants. 

Au matin du cinquième jour, j’ai commencé par la traversée d’un large cours d’eau. La veille au soir, j’avais passé une heure à trouver un endroit pour camper près d’un point d’eau, sur un terrain plat et pour ajouter une contrainte, à l’abri du vent violent qui soufflait. J’ai finalement trouvé l’endroit parfait. Après avoir monté mon camp, je suis allé chercher de l’eau à la rivière. Il faut dire que le paysage était vraiment très beau. Sur les hauteurs, une longue chute d’eau dévalait la montagne formant cette large rivière pour terminer dans un lac quelques centaines de mètres en aval de mon camp. Seulement voilà, il n’y a pas assez de pierres pour traverser à sec. C’est donc les pieds dans une eau glacée que j’ai commencé cette journée dès 8h du matin !

La marche

Je suis d’une nature plutôt matinale. Ajouté à ça le jour permanent, j’étais généralement réveillé dès 5h30. J’ai compté qu’il me fallait deux heures entre le moment où je sortais de mon sac de couchage et le moment où je me mettais en marche. Mes journées commençaient par le petit déjeuner. Pour ce repas important de la journée, j’avais prévu des sachets de muesli mélangés à du lait Regilait que je mangeais froid ou chaud. Ensuite, un brin de toilette au bord du cours d’eau près duquel j’avais installé ma tente. Et enfin, démontage du camp. Cette étape n’est pas toujours simple selon les conditions météo. Avec le vent, il faut être prudent qu’une rafale n’emporte pas la tente au moment où les piquets ne la retiennent plus. J’ai toujours une main dessus au cas où. Et j’ai aussi pris l’habitude depuis longtemps maintenant, de toujours garder une corde attachée soit à un piquet, soit à mon sac à dos à proximité. Une fois la tente pliée, je peux charger mon sac, contrôler que je ne le laisse rien derrière moi à part quelques herbes courbées, et je peux démarrer l’étape du jour.

La marche n’aura pas toujours été agréable. Le poids du sac a, une fois encore, été un problème. J’avais beaucoup travaillé en amont du voyage pour essayer de l’alléger. Mais partir en autonomie impose d’avoir de la nourriture et des équipements chauds. Même si j’ai opté pour des repas lyophilisés pour le soir, tous ces repas pèsent assez lourds. Même chose pour les mueslis et les barres repas pour le déjeuner. En fin de trek, tout ce que j’avais emporté m’a servi. A l’exception de mon drap en soie. Mais à lui seul il ne doit peser qu’une centaine de grammes. Donc ce n’est pas ça qui aurait fait la différence. Au départ, mon sac faisait 20 kg (il en faisait 23 au Groënland en 2017). Ce poids sur les jambes, les hanches et les épaules m’ont posé problème dès les premiers jours. J’ai finalement trouvé une solution pour avoir moins mal au niveau d’une hanche et la marche a été plus simple. Malgré tout, certains jours, j’avais les jambes très lourdes. Difficile d’avancer. Ces jours-là, je faisais davantage de pauses et moins de kilomètres. J’avais prévu des étapes de 12 à 15 kilomètres les premiers jours pour terminer avec 20 kilomètres en fin de parcours. Ça n’aura jamais été le cas. La plus longue étape aura été de 15 km et la plus courte, seulement de 8. Bon, ce jour-là, je me suis un peu perdu dans les repères. Le septième jour, j’avais prévu de faire 12 km pour camper à mi-chemin entre le refuge de Unna Allakass où j’avais dormi la veille et le refuge de Abiskojaure. Et justement, à mi-chemin entre ces deux refuges, il y un village sáme, Rovvidievva, que j’avais traversé en 2014. Ce village est situé dans une taïga morte. Paysage morbide. Il y a quelques années, une invasion de chenilles ont mangé les feuilles des boulots. Après leur métamorphose, les papillons n’ont laissé que des arbres morts. Je savais qu’il était quasiment impossible de trouver un endroit pour camper une fois passé ce village. Le terrain en pente et sous la taïga ne s’y prête pas du tout. Sur la carte, j’avais repéré un pont, situé à 1 km avant le village en-dehors de la taïga. Entre Unna Allakass et le village, la carte indiquait 2 ponts. C’est donc au second que je devais camper. Un pont. Deux ponts. Et je me suis arrêté. C’était parfait. Un torrent pour puiser de l’eau, puissant, bruyant mais avec un endroit pour accéder à l’eau sans danger. Et un emplacement visiblement utilisé fréquemment pour le camp. C’est en vitesse que j’ai monté la tente, entre deux averses. Une fois à l’abri, ma montre indiquait midi. Curieux. Je n’ai marché que 4 heures, avec les jambes lourdes et un passage de gué qui m’a beaucoup retardé. Et j’aurais fait 12 km en 4 heures ? Impossible. Mais je ne me pose pas d’autre question pour le moment. J’ai l’après-midi pour me reposer. J’ai emporter un livre dans mon sac. Je profiterai aussi de quelques passages ensoleillés pour faire des photos du paysage et du torrent. Finalement, le lendemain, après deux heures de marche, je n’étais toujours pas arrivé au village sáme. Lors d’une pause j’ai étudié la carte. Et visiblement, un nouveau pont a été construit depuis la parution de ma vieille carte car je me suis arrêté 4 km avant l’endroit fixé initialement. Il m’a donc fallu faire 4 km de plus ce jour-là. 

Chaque jour, j’ai pris le temps d’observer le paysage. Ne pas marcher en regardant ses pieds. Lever la tête et s’imprégner de la nature. Porter le regard partout. A 360°. Je n’ai pas vu beaucoup d’animaux. Quelques lagopèdes, beaucoup d’oiseaux, quelques groupes de rennes., un chevreuil. Aucun élan. J’ai trouvé quelques bois de rennes sur le parcours avant Alesjaure. J’ai ramené le plus beau avec moi.

La piste était plutôt bien balisée sur tout le parcours. Sur certaines portions, la piste d’été emprunte celle d’hiver avec les panneaux à croix rouges. En revanche, d’autres sections sont indiquées par des cairns. Ils ne sont pas toujours facile à repérer, surtout au mieux de champs de pierres. Où mieux cacher une pierre que dans un pierrier ?! Une journée, j’ai dû revenir sur mes pas pour retrouver la piste, poser mon sac et partir à la recherche d’une marque, d’une trace, de quelque chose qui m’indique la bonne direction. Après m’être repéré grâce à ma carte et ma boussole, j’avais bien identifié que je devais prendre de la hauteur, alors qu’un chemin au sol semblait descendre vers la vallée. Bien m’en a pris de prendre le temps de réfléchir et de chercher puisque j’ai fini par trouver un petit cairn un peu en hauteur. Je suis retourné sur mes pas pour récupérer mon sac et reprendre la marche dans la bonne direction. C’est une opération qu’il m’a fallu faire à plusieurs reprises sur la première partie du parcours, celle qui est moins fréquentée. D’ailleurs, durant les cinq premiers jours, je n’ai croisé que deux personnes.

Les refuges

A deux reprises j’ai profité des refuges STF. A Alesjaure et Unna Allakass. Malgré le Covid et une jauge limitant le nombre de lits, j’ai pu prendre un lit pour ces deux nuits. A Alesjaure, j’avais plus ou moins prévu de dormir au chaud et dans un lit confortable. C’était à peu près la mi-parcours. C’est le jour où le vent soufflait vraiment très fort et j’étais plus rassuré de ne pas avoir à monter la tente. Du haut du refuge, j’observerai certains randonneurs tourner longtemps pour trouver un emplacement pour camper à l’abri du vent. A Unna Allakass en revanche, c’est la météo pluvieuse et froide qui m’ont amené à demander un lit. Mais ce refuge n’est pas équipé de lecteur CB et le paiement se fait exclusivement en espèces. Heureusement, j’avais tout juste ce qu’il fallait en Couronnes Suédoises pour régler la nuit. Il faut compter 650Kr (65€) pour la nuit. Ces refuges sont vraiment très beaux et bien entretenus. Plusieurs chambres de 4 à 10 lits superposés, un poêle à bois dans chaque pièce. Dans la pièce commune, une cuisine avec des réchauds au gaz, mais pas d’eau courante. Il y a de grands récipients en inox pour la cuisine : des seaux pour l’eau à consommer. Des bassines pour faire la vaisselle. D’autres seaux pour les eaux usées. Maintenant, et c’est une différence avec ce que j’ai connu en 2014, il y a un réservoir d’eau aux abords des cabanes à l’extérieur pour remplir les seaux. Une pompe électrique puise l’eau directement dans la rivière ou le lac qui jouxte le refuge. L’électricité est bien sûr produite par des panneaux solaires. Les eaux usées sont rejetées à un endroit clairement défini à l’écart du refuge, près des toilettes (sèches). Pour les poêles, un stock de bois, dans une cabane, est à la disposition des randonneurs. Il faut couper et fendre le bois. Je l’avais fait à plusieurs reprises lors de mes treks précédents en 2012 et 2014. Cette fois-ci, d’autres s’en sont chargés. 

En arrivant à Abiskojaure, il est interdit de camper n’importe où. Nous sommes dans le Parc National d’Abisko, zone protégée. Il n’y a que deux emplacements dans cet immense parc qui sont autorisés aux tentes. Au refuge d’Abiskojaure et à 4 km avant la ville d’Abisko. En arrivant à Abiskojaure, alors que j’ai passé la journée sous la pluie et que mes chaussures sont trempées, je rêvais d’une nuit au chaud et au sec. Malheureusement, ce refuge très fréquenté n’acceptait que les randonneurs qui avaient réservé ou ceux qui n’avaient pas de tente. J’ai donc monté mon camp à l’emplacement prévu à cet effet avec de nombreux autres campeurs. Mais ce n’était pas gratuit. 350Kr (35€) la nuit. Pour ce prix, on profitait d’une cabane pour la cuisine et les repas. Une des gardiennes m’a proposé de mettre mes vêtements à sécher dans la « drying room » d’un refuge. Le lendemain matin, mes chaussures n’étaient finalement toujours pas sèches.

Conclusion

Au bout de 9 jours de marche et 120 km environ, j’ai posé mon sac à la station de tourisme d’Abisko. J’ai profité de l’après-midi pour me reposer au chaud et au sec dans cette station où passe beaucoup de monde, randonneurs et vacanciers de passage sur la E10, cette route Européenne reliant le village de Å situé à l’extrémité des îles Lofoten en Norvège, à Luleå en Suède. Le bus qui dessert Kiruna partait de Abisko à 18h25. Nous étions deux passagers à bord. Dans l’après-midi, j’avais appelé l’hôtel Best Western de Kiruna pour réserver quelques nuits supplémentaires. Les prévisions météo pour les jours à venir continuaient d’annoncer de la pluie. Inutile de continuer dans ces conditions. Autant rentrer en ville, et profiter du spa de l’hôtel pour se reposer. C’est aussi ça les vacances !

Durant ce trek, je n’ai pas rencontré grand monde sur la première partie du parcours. A partir d’Alesjaure, je me suis retrouvé sur la Kungsleden et des variantes assez fréquentées. J’ai passé du temps avec un jeune couple belge (flamands non francophones) au refuge d’Unna Allakass. Une Allemande à Alesjaure qui remontait directement vers Abisko. J’ai aussi croisé la route de François, un belge (francophone, lui), guide touristique qui encadrait un petit groupe dans le secteur d’Abiskojaure. Un gars intéressant qui me semble avoir une approche de la nature vraiment saine. Il organise des voyages en Laponie en plus de son activité en Belgique près de Namur où il propose des randonnées et animations en compagnie de ses ânes. Je vous partage son site internet pour ceux qui sont de passage dans sa région : Les ânes de François.

De retour à Kiruna et pour les quelques jours de vacances qui me restent, j’en profite pour me balader dans la ville et découvrir que l’ancien hôtel de ville et l’ancienne gare ont été rasés car ils se trouvaient sur la « zone d’effondrement ». En effet, la ville vie autour d’une immense mine de fer. Et une partie de la ville s’effondre petit à petit. Un immense chantier de déménagement est lancé depuis quelques années. Beaucoup d’habitations et infrastructures seront démolies pour être reconstruites dans la « nouvelle » ville, à quelques kilomètres de là. J’avais visité l’ancien hôtel de ville. Bâtiment massifs en briques à l’extérieur et magnifique à l’intérieur, tout en bois. En lieu et place, un parc avec des restes de briques concassées rappellent le bâtiment un temps classé monument historique avant d’être déclassé pour la destruction (comme quoi, rien n’est définitif).

Un matin, je me suis rendu à pied dans la « nouvelle ville ». Le nouvel hôtel de ville est joli mais plus moderne, forcément. De nombreuses constructions sont en cours, hôtel Sandic, immeubles d’habitations… Ce qui m’a semblé curieux, c’est que ces nouvelles constructions se trouvent au milieux d’une zone industrielle et que les bâtiments sont très proches les uns des autres. On aurait pû imaginer un plan d’urbanisation en plus orienté vers la nature avec de grands espaces verts autour de l’hôtel de ville justement. Ce ne sera pas le cas. Je doute que cette ville soit vraiment attractive. Voilà pourquoi, il est préférable se prendre son sac à dos et partir explorer les massifs et les vallées de cette Laponie merveilleuse, là où l’homme ne laisse que des traces de pas éphémères. 

Les photos de la balade sont ici.